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Passage de relais

 

Par Thomas Burnet

 

Studio de RDC, Cognac ; Mathis Muroy, dit Sugar Man à l’antenne. 

 

            « Bonjour à tous ceux qui viennent de nous rejoindre sur RDC, Radio des Charentes ! Avec vous, Sugar Man, et j’espère que ça va toujours bien ! Aujourd’hui, dans notre belle région, il fait beau et chaud… ou chaud et beau, c’est comme vous voulez !  

Alors, pour ceux qui ne me connaissent pas encore, je suis Sugar Man, celui qui accompagnera vos après-midi, que j’espère très ensoleillées, sur la tranche treize – dix-neuf pendant tout cet été 2013 avec pour seuls mots d’ordre : détente, plaisir et bonne humeur !

Et qui dit nouvel animateur dit nouvelles chroniques ! A treize heures trente, je vous ai présenté les histoires insolites du web, à quatorze heures trente, c’était la retro des tubes de l’été avec la très dansante Macarena, et maintenant, à quinze heures trente, c’est l’heure du coup de cœur de « Sugar Man », la découverte d’un de mes artistes favoris.

Pour le premier artiste de l’été, je vous propose un musicien que j’aime tellement que j’ai fait de sa plus grande chanson mon surnom : Sugar Man. « Sugar Man » signifie littéralement « Homme Sucre ». Bien entendu, on pourrait m’appeler ainsi en raison de mon extrême gentillesse, hé hé hé ; mais non, « Sugar man » est le titre d’une chanson que j’adore, d’un musicien dont l’histoire m’a beaucoup touché. Je l’ai découvert l’année dernière en écoutant, moi aussi, la radio, puis en allant voir au cinéma un documentaire qui lui était consacré et je voudrais, aujourd’hui, vous faire partager ma passion pour cet artiste au destin incroyable : Sixto Rodriguez. »

 

Cuisine de M. et Mme Flavais, Paugnac ; Marcel Flavais et Raymond, le copain.

 

«  Sixto Rodriguez est un musicien nord-américain d’origine mexicaine qui a enregistré deux albums aux Etats-Unis : « Cold Fact » et « Coming from Reality » au début des années soixante-dix. Ces deux albums ne se sont pas du tout vendus, ça a été un flop commercial et Rodriguez a abandonné son début de carrière pour continuer à faire ce qui le faisait vivre : des petits boulots sur des chantiers dans la ville de Détroit.

L’histoire aurait pu s’arrêter là, ça aurait été dommage, mais banal. Mais cette histoire n’est aucunement banale.

A cette époque, un américain est parti rendre visite à des amis en Afrique du Sud, en pleine époque de l’Apartheid, régime où les libertés étaient bafouées et les noirs séparés des blancs. Cet américain avait avec lui, entre autres, les vinyles de Rodriguez. Il les a fait écouter à ses amis et ils ont adoré. Mais encore mieux que ça, ces chansons leur ont parlé. Pas au sens où elles leur ont dit « coucou, on est des chansons, on aime bien aller en Afrique du Sud ! », non, ha ha ha. Elles leur ont parlé dans le sens où Rodriguez parlait de choses qu’ils vivaient, eux, en Afrique du Sud et abordait des thèmes que les autorités interdisaient, comme le sexe ou la drogue. »

 

- Dis donc, Raymond, le gars a-t-y pas parlé d’sex’ dans l’post’ ?

- Ben si Marcel !

- Mich’line ! Viens donc ! Y parl’ de sex’ dans l’post’ ! J’crois qu’Raymond va partir passqu’on a des choses à faire… Si tu vois c’que j’veux dir’ mon Raymond !!!! Ho ha ha ha ha ha !

 

Boutique de Prêt-à-porter « Rien que pour L », Barbezieux St-Hilaire ; Chloé Artois, saisonnière, Madame Geneviève, gérante et Jacqueline Mazier, cliente.

 

« C’est alors qu’un bouche-à-oreille considérable s’est mis en place en Afrique du Sud, essentiellement dans la communauté blanche anti-apartheid. Rodriguez est rapidement devenu, non seulement une référence, mais une icône, un mentor, un guide qui chantait ce que les jeunes avaient dans le cœur et ce qu’ils voulaient pour l’avenir. Ses vinyles ont été copiés et vendus par centaines de milliers… Rendez-vous compte, des centaines de milliers à travers tout le pays, alors qu’aux Etats-Unis, les ventes avaient été plus que ridicules… »

 

« - C’est ce que je vous disais madame Mazier : ils le disent même à la radio, tout le secteur du commerce est sinistré, même aux Etats-Unis ! C’est pour ça qu’on doit travailler dur ! C’est ce que j’essaie de faire comprendre à la jeunesse ! N’est-ce pas Chloé ?

- Oui madame Geneviève…

- Mais de toute façon, si on n’avait pas une équipe de mollassons au pouvoir, si on avait quelqu’un digne de redresser le pays et de donner une bonne leçon à ces américains, quelqu’un comme… vous voyez ce que je veux dire madame Mazier ?

- Quelqu’un à qui irait parfaitement ce joli pull bleu marine, non ? » répondit la cliente en adressant un clin d’œil à madame Geneviève.

A cet instant, Chloé toussa très bruyamment. Si mesdames Mazier et Geneviève avaient suffisamment prêté attention, elles auraient pu entendre le mot « fachos » au milieu de cette toux.

 

Garage Dubois, Saintes ; Eric, Hervé et Franck, mécaniciens :

 

« Pendant toutes les années de lutte pour les droits des noirs et pour la liberté d’expression, Rodriguez était l’un des symboles. Il était même censuré à la radio, les censeurs rayant certaines chansons sur ses vinyles pour qu’on ne puisse pas les diffuser. Mais c’est comme pour les adolescents, plus on interdit, plus la chose interdite prend de la valeur… Ainsi, des milliers de sud-africains ont grandi avec Rodriguez, ils l’ont écouté en douce ou acheté sous le manteau. Lorsque Nelson Mandela arriva enfin, au bout de ses soixante-sept ans de lutte, à mettre fin à l’Apartheid, Rodriguez était devenu presque plus célèbre qu’Elvis Presley. »

 

« -Eric ?

 

 

-Eric ?

 

 

- ERIIIIC !

- QUOI ?

- Arrête ton bruit tu veux ?

- Pourquoi ?

- Ecoute ! »

 

Les deux hommes levèrent les yeux vers le plafond, attendirent quelques secondes avant qu’Hervé ne reprenne :

 

- Putain ! Y’a plus de musique ! Y’a qu’un gars qui cause ! Franck !

 

 

 

- FRAAAAANCK !

-Ouais ?

- T’es chiant ! Enlève France Culture et remets-nous la musique ! »

 

Local syndical de la CGT, Limoges ; Lionel et Lydie, préparant des pancartes pour la manifestation prévue à la rentrée.

 

« Et ça aurait pu être une belle histoire. Mais ça ne l’a pas été. De la sortie de ses albums jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix, Rodriguez n’a pas su un mot de tout cela. Il était une légende à l’autre bout du globe et continuait à casser des maisons et à nettoyer des chantiers à Détroit pendant ce temps-là. Il vivotait, avait du mal à joindre les deux bouts pour nourrir sa famille, pendant que d’autres s’enrichissaient en copiant ses albums et en les écoulant en Afrique du Sud. Il a essayé de faire bouger les choses à Détroit, il a essayé de se présenter à des élections pour améliorer la vie des gens, mais n’a pas pu percer, encore une fois. »

 

« - Ah ! Putain ! Ca me fout les boules ça ! Encore un pauvre gars qui s’est fait entuber bien profond par le système ! Mais ça va changer ! Tu verras Lionel ! On va bosser tout l’été et on va leur faire un automne français qui va enfin faire bouger les choses ! Tous les travailleurs dans les rues ! Et ils vont voir les patrons ! Si jamais toutes les usines se mettent en grève, si on arrive enfin à mettre nos dirigeants à genoux, tu verras, ils seront bien obligés de voir que leur économie de marché va dans le mur !!! »

 

Lionel ne répondit rien, mais continuait de regarder Lydie avec des yeux pleins d’admiration, émerveillé par la force de conviction, la hargne de vaincre et la belle paire de seins de la rousse syndicaliste.

 

Boutique « Vel’ au Naturel », Chalais ; Hans et Gretchen Klausberg, observant le rayon des selles. 

 

« Et voilà la situation un peu avant de l’an deux mille : Sixto Rodriguez vit pauvrement à Détroit, alors qu’à des milliers de kilomètres de là, en Afrique du Sud, c’est une légende. C’est tellement une légende que les gens le pensent même mort. Il serait mort sur scène, il se serait suicidé, il n’y a pas de version officielle. Un journaliste curieux, fan de sa musique, décide de faire un article sur « comment est vraiment mort Rodriguez ? ». Alors, il commence à chercher, mais ne trouve rien. Il contacte un autre sud-africain qui est aussi fan de Rodriguez et, ensemble, ils continuent à chercher sa trace. Et ils ne trouvent… rien ! Rien du tout ! Comme s’il ne venait de nulle part, comme s’il n’avait jamais existé.»

 

Traduit de l’allemand :

« - Chérie, je crois que ce n’est pas ma selle le problème…

- Ah bon ? Et quel est le problème ?

- Je crois que j’ai des hémorroïdes… »

 

Maison de retraite « La quiétude » ; Nontron, Simone Lamotte et Adèle Blanche.

 

« Au final, c’est dans les paroles d’une des chansons de Rodriguez qu’ils trouvent un indice. Il parle d’une fille de Dearborn et ils se rendent compte que c’est une ville à côté de Détroit. Ils cherchent alors à Détroit toutes les personnes qui sont nommées au dos de la pochette et ils trouvent des contacts. Ils trouvent même une des personnes qui a participé à l’enregistrement de « Cold Fact ». Ils l’appellent et le gars leur dit que oui, il a rencontré Rodriguez, oui, il était là pour l’enregistrement de l’album. Alors, le journaliste sud-africain demande :

« - Je voudrais expliquer aux gens comment est mort Rodriguez… Pouvez-vous me raconter comment c’est arrivé ?

- Rodriguez ? Mort ? Mais il n’est pas du tout mort ! Il vit ici à Détroit ! »

Dans le documentaire, le journaliste raconte que c’est comme si on nous annonçait qu’en fait Elvis Presley ou John Lennon n’étaient pas morts… »

 

« - Elvis Presley n’est pas mort ? Vous avez entendu Adèle ?

 

 

ADELE !

- Hein ? Ah excusez-moi, je me suis un peu assoupie ! Vous disiez ?

- Ils ont dit au poste qu’Elvis Presley n’est pas mort. Vous saviez ça vous ?

- Ah non, je ne savais pas. Mais vous savez, maintenant, avec leur Internet et leurs Aime Pé Croix, ils font des trucs formidables…

- Ah oui, ça c’est vrai. C’est comme avec leur déesse !!! Ma petite fille m’a dessinée l’autre jour avec sa déesse, c’était sensationnel !

- Une déesse ? Tiens, je ne connaissais pas… Vous n’auriez pas son nom à cette déesse par hasard que j’achète ça à mon Eliott ! Ca lui en boucherait un coin que lui offre ça une déesse pour son anniversaire !

- Non… Elle m’a pas dit…En plus des déesses, il en existait plein, je ne sais pas laquelle elle a… Mais ça ne va pas faire trop fille pour votre Eliott, il voudrait peut-être un dieu, non ? » Simone laissa un blanc, pensive. Puis, elle reprit :

 

« - Ils ont dit aussi que Johnny il était pas mort, mais ça on le savait déjà !

- Ah ça oui ! Vous avez vu dans le Voici que sa femme Laëtitia a encore montré ses fesses à la plage ! »

 

Salon de coiffure « L’Hair Zen », Saint-Mathieu ; Monique, coiffeuse, Chantal Macé et son fils Christophe Macé.

 

 « Dès lors, ils ont essayé de rentrer en contact avec lui. Au moins pour le saluer. C’est par l’intermédiaire d’un site internet qu’ils avaient créé pour retrouver l’artiste que la fille de Rodriguez a laissé un message en disant : « c’est mon père, mais pourquoi vous le cherchez ? » Et lorsqu’ils ont pu lui parler et le rencontrer, ils ont pu lui expliquer à quel point il était connu et ses chansons appréciées en Afrique du Sud. Ils ont organisé une série de concerts là-bas. Et le 6 mars 1998, Sixto Rodriguez a joué son premier concert à guichet fermé… Si vous avez le temps, regardez le DVD du documentaire… Vous verrez l’émotion de ce premier concert. Après presque trente ans, Rodriguez et son public se retrouvaient enfin, et il pouvait enfin profiter du succès de ses chansons. Pendant un temps, il a mené une double vie : star en Afrique du Sud, et modeste ouvrier à Détroit. Parce que non seulement cet homme a un destin incroyable, non seulement il a aidé tout un peuple à se libérer de ses chaînes, mais aussi il a toujours œuvré dans l’intérêt général. Même quand il a commencé à récolter ce qu’il avait semé bien des années auparavant, il en a d’abord fait profiter sa famille ! »

 

« - Ah ! Tu vois ! Ca c’est un homme bien ce Fernando ! Lui au moins il pense à sa famille ! Lui au moins, il ne pense pas qu’à lui et à s’en aller loin de sa mère !

- Mais maman, je veux aller à la fac de Poitiers, ce n’est quand même pas le bout du monde !

- Tu disais déjà ça quand tu es allé au lycée à Limoges et tu me manquais déjà terriblement ! N’est-ce pas Monique ?

- Ah ça oui madame Macé, vous aviez vos pointes toutes fourchues pendant les années du lycée du p’tit, sauf bien sûr, quand il revenait à la maison.

- Tu vois ! Tu devrais prendre exemple sur ce Bernardo et penser plus à ta pauvre mère ! »

 

207, 276 – XG – 16, Nationale 10 ; Fabien Lurette et Grégoire Taland :

 

« Depuis, il est à la retraite, il touche enfin des droits d’auteur sur les rééditions de ses albums, a fait quelques tournées, notamment en France en 2009 et cette année au mois de juin et ce mois-ci. Mais il a maintenant plus de soixante-dix ans et ne semble pas vouloir faire carrière. Il profite de la vie, comme elle vient, comme il l’a toujours fait.

Voilà, j’espère vous avoir donné l’envie d’en savoir plus, de voir le documentaire, et d’écouter ses disques. N’hésitez pas, c’est vraiment excellent !  Je vous propose un avant goût avec « Sugar Man », LA chanson de Rodriguez, tirée de son album « Cold Fact ». »

 

« - Nan, tu peux pas dire ça Grégoire, je suis désolé.

- Mais bien sûr que si !

- Non, pas du tout ! Goldorak, il marave la gueule à Seyar ! Un coup de « Fulguro-poing » et Bam !

- Mais carrément pas ! C’est un chevalier du zodiaque Seyar ! Il te balance un « météore de Pégase » et il est en pièces le robot de ton Prince d’Actarus ! Au passage, je te signale que Seyar, il a des vrais pouvoirs, alors que sans son Goldorak, ton prince, il est tout juste bon à rouler des pelles à Hello Kitty !   

 

 Chambre de Théo Robert, Angoulême ; Théo, Boris et Morgan :

 

“Sugar man, won’t you hurry… »

 

Soudain, Boris dit, en montrant le poste de radio : « Chut ! »

 

«…cos’ I’m tired of these scenes

For a blue coin, won’t you bring back

All these colors to my dreams.

Silver magic ships, you carry, jumpers, coke, sweet Mary Jane…

 

« - Théo, c’est pas la chanson que jouait ton père sur la cassette que tu m’as faite écouter ?

- Si, je crois bien… »

Morgan sursauta : « - Ton père jouait de la musique ?

- Ouais, il avait un groupe quand il était jeune. Il m’a bassiné pour que j’apprenne à jouer de la guitare ! Il avait même aménagé une salle de répétition à la cave parce qu’il voulait remonter un truc avec Clara, à qui il avait fait apprendre la batterie, et moi. Et puis il a changé de poste au boulot et n’avait plus le temps et puis Clara s’est mise au badminton, alors je joue tout seul maintenant…»

 

Morgan le coupa : « - Mais tu sais que moi je joue de la batterie ?

- Non ?

- Mais bien sûr !

- Terrible ! Tu joues d’un truc Boris ?

- Non…

- Ben tu prendras la basse de mon père ! Allez les gars ! On va faire un groupe de rock !

- Et on va l’appeler comment notre groupe ?

- Il a dit qu’elle s’appelait comment cette chanson ?

- Sugar Man.

- Ben va pour ça ! Allez les Sugar Man, on va faire notre première répète ! »

 

Et dans le poste qu’ils n’avaient pas éteint, Rodriguez chantait encore : « Sugar man, sugar man, sugar man… »

 

FIN

 

 

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