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Ophiophobie

 

Par Thomas Burnet

 

 

Je n’aime pas les serpents…

 

Je crois que ça remonte à l’enfance, quand je regardais Le Livre de la jungle. Ça a commencé avec ce grand serpent sournois qui t’hypnotise avec ses grands yeux jaunes, qui te met en confiance pour mieux t’étouffer ensuite. Ce n’est pas que ça m’effrayait, mais ça me mettait mal à l’aise. Ça m’a mis dans l’idée qu’on ne peut pas faire confiance à un serpent.

 

Ensuite, en CE1, je suis allé visiter un reptilarium avec ma classe. Lors de l’atelier de découverte, j’ai crié lorsque l’animatrice a sorti le serpent pour nous montrer à quel point il était inoffensif et c’est du bout des doigts que je l’ai touché, en grande partie pour ne pas perdre l’estime de Chloé, mon amoureuse de l’époque. La visite de la section qui leur était dédiée n’a pas arrangé les choses : c’était l’heure du repas, l’heure pour moi de voir une vraie poule se faire littéralement gober par ce goulu invertébré. La pauvre gallinacée avait été droguée, mais était encore vivante, consciente de se faire avaler, millimètre par millimètre, lentement, mais sûrement. J’en ai fait des cauchemars pendant longtemps.

 

Quelques années plus tard, pendant les vacances d’été, mes parents ont trouvé une location en Ardèche. Avec ma bande de copains, nous avions trouvé un coin secret au bord d’une rivière, un coin rien qu’à nous, loin des touristes, où nous passions des journées entières. Pour descendre près de notre rivière, il fallait quitter la route, tourner entre l’arbre en W et le rocher à tête de chien, au beau milieu d’un buisson de romarin. De là, nous avions une quinzaine de minutes de marche entre des caillasses, des pentes de terre et des ronces. Et cette chanson… Cette chanson que nous récitions comme une formule magique, car la région était réputée pour grouiller de serpents : « Tape du pied, tape du pied par terre. Tape du pied, tape du pied, pour faire peur aux vipères ». Je reste convaincu qu’aucun de mes amis n’avait vraiment peur de ces serpents, mais moi, c’était différent. Au moment où je passais le romarin, mon cœur accélérait, mon corps se crispait et c’est avec entrain que je tapais frénétiquement mes pieds par terre, les doigts croisés, espérant encore une fois ne pas en rencontrer sur mon chemin.

 

J’ai le sentiment que la vie s’est jouée de mon envie de me tenir loin de ces sales bestioles, entre la dissection d’une couleuvre que je dus faire en cours de biologie en cinquième et cette copine que j’avais à la fac, à la fois belle et intelligente, qui les aimait tellement qu’elle en avait adopté trois… Je les sens roder autour de moi, se cachant dans l’obscurité, me faisant croire que je suis en sécurité, pour venir me surprendre au moment où je m’y attends le moins. « Tape du pied, tape du pied par terre. Tape du pied, tape du pied, pour faire peur aux vipères », il m’arrive parfois de me réveiller la nuit en chantant cette chanson.

 

Mais, cette nuit, c’est différent. Cette nuit, je prends ma revanche. Cette nuit, c’est moi qui vais surprendre ce long serpent perfide, qui vais l’attraper à la gorge et l’obliger à se plier à ma volonté. Cette nuit, c’est lui qui va trembler.

 

Pour arriver là, allongé dans l’herbe, sur le ventre, à quelques mètres de là où il va se faufiler, j’ai dû l’imiter, ce maudit reptile, utiliser sa technique pour me glisser entre les mailles du filet, sournoisement, silencieusement.

 

Je ne suis pas seul pour ce point d’entrave ; il y a aussi Pierre, Christophe, Cédric, Christelle, Myriam et Leïla. Nous sommes tous les sept à proximité de cette faille, de cet endroit si peu pratique d’accès, mais qui pourra peut-être l’arrêter pour de bon…

 

« Tape du pied, tape du pied par terre.» Plus on est nombreux, plus on a de chances de l’arrêter !

 

Laura a été claire : il faut retarder son avancée, voire la stopper. On va donc lui barrer la route comme on peut. Ça fait des semaines que l’on cache dans les alentours tout ce qui nous y aidera : nous allons le prendre au piège ! La seule contrainte qu’on nous a imposée : ne pas employer la violence. On ne doit pas pouvoir nous reprocher de nous abaisser à son niveau. Pourtant, j’ai emporté ma fronde ; avec un peu de chance, je n’aurais pas besoin de trop m’en approcher… Il est rapide, mais on ne sait jamais… Et puis, qu’est-ce qu’un petit lance-caillou face à ce terrible venin qu’il transporte et qu’il peut déverser, pour répandre la maladie et la mort à des populations entières ? Je vérifie d’un geste : dans une poche, les galets ; accroché à ma ceinture, le lance-pierre. Je suis prêt, je t’attends Kaa, tu ne pourras pas passer inaperçu ce soir.

 

Merde… Un bruit dans le fourré. Je me colle encore plus au sol dans les herbes hautes. Un faisceau lumineux déchire la nuit, je ferme les yeux, afin de me recentrer, de me calmer et de faire moins de bruit en respirant. J’entends le cri de l’herbe écrasée par le poids des pieds de ses gardiens, ces agents du Mal, ces Cerbères qui n’attendent qu’un mouvement de cil pour décharger leur violence et cracher, à leur manière, leur venin de colère et de rage.

 

Les secondes s’étirent en heures, mais soudain, j’entends un cri au loin. Un cri strident, chargé de douleur, de colère… Putain, je reconnais cette voix ! Ils ont dû avoir Christelle ! Un instant, j’ai le réflexe de prendre appui au sol pour me relever et lui porter secours, mais le bruit des chiens de l’enfer près de moi me rappelle qu’il ne faut s’occuper que de soi… et penser à la mission : stopper le serpent, il faut stopper le serpent. « Tape du pied, tape du pied par terre. Tape du pied, tape du pied, pour faire peur aux vipères » ; ça me trotte dans la tête ; si c’était aussi simple !

 

Les chiens aboient, la peur passe. Les pas se désorganisent, ils se confondent et finalement s’éloignent. Une longue expiration silencieuse et je peux à nouveau respirer normalement.

 

Il faut maintenant patienter. Guetter la bête et ne pas la louper. Malgré la fatigue, malgré le froid. Un coup d’œil à la montre : il a déjà deux heures de retard. Je n’ose pas sortir mon portable pour vérifier sur le blog l’heure de passage réactualisée, de peur me faire remarquer. Certains chiens sont peut-être restés dans l’ombre pour me surprendre.

 

Je ne sais pas exactement où sont les autres, j’espère que Christelle va bien. Mais je me reprends, je ne dois pas m’en soucier, je dois tout faire pour avoir ce serpent. L’empêcher de parcourir impunément la planète, de se faufiler dans la nuit, de se faire passer pour un gentil lézard innocent, de faire croire que son poison est inoffensif, tant pour le présent que pour le futur.

 

Ce sont les derniers instants, je le sens. Ces instants de calme avant le bruit, avant l’action, et surement la douleur… Je respire doucement. La nuit est belle ; dans le ciel dégagé scintillent des milliers d’étoiles. La nature a une odeur de printemps, avec ce mélange d’herbes fraiches et de fleurs sauvages. Ce moment me fait du bien.

 

Mais de nouveau, le calme de la nuit s’étiole. Cette fois-ci pas de cri ou d’agitation. C’est un grondement, une vibration qui traverse la terre et qui annonce l’arrivée du long et sinueux serpent nucléaire. Ce long convoi, rempli de déchets prêts à être retraités dans le nord du Cotentin pour ensuite repartir en Hongrie et se faire enfouir sous la terre pour la contaminer insidieusement et lentement pendant des siècles et des siècles…

 

Au loin, l’obscurité devient lumière, et fend la nuit en zigzaguant lentement.

 

Viens Kaa, je t’attends.

 

Prends ton temps, je t’aurai.

 

Soudain, des fourrés, trois ombres sortent de la nuit et se dirigent vers la voie avec un important chargement. Ce sont sûrement les gars. Ca y est. Ca commence.

 

Mon corps se met à trembler, parcouru de courants d’excitation et de peur ; une décharge d’adrénaline me secoue et je prends appui au sol pour me relever. Je prends une seconde pour inspirer profondément et dans ma tête, je commence à chanter :

 

« Tape du pied, tape du pied par terre. Tape du pied, tape du pied, pour faire peur aux vipères. »

 

J’y vais.

 

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