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 A Estelle, où que tu sois…

 

 

Le train des anges.

 

Ecrit par Thomas Burnet.

 

« Runaway train never come back »

                               (Soul Asylum – Runaway train)

 

 

            Estelle était une petite fille comme bien d’autres. Elle était une brillante élève de CM1 dans la classe de Mme Maite, enseignante à l’école communale de Maugretens. Aujourd’hui, la maîtresse avait demandé à Estelle de réciter le poème qu’elle avait appris avec sa maman. Toute la classe avait rigolé quand elle avait dit le nom du poème. C’était Le Cancre de Jacques Prévert. Il fallait bien que ce soit la première de la classe qui récite une poésie parlant du pire des élèves !

 

« Il dit non avec la tête,

Mais il dit oui avec le cœur. »

 

            Estelle s’appliquait à bien mettre les intonations là où sa maman lui avait appris à les mettre. La plupart des élèves écoutaient avec attention. Estelle avait la particularité de savoir capter son public, de le faire voyager avec les mots des autres qu’elle savait si bien dire. Elle commençait elle-même à écrire des petites histoires de quelques lignes voire quelques pages où des bandes d’enfants partaient à la recherche d’un mystérieux trésor.

 

« Et sur le tableau noir du malheur »

 

            Les enfants aimaient bien Estelle d’une manière générale. Il y avait deux ou trois garçons amoureux d’elle et qui avaient à l’instant où elle récitait son poème les yeux rivés sur cette apprentie poétesse. Elle avait de nombreuses copines avec qui elle rigolait bien. Et puis il y avait Octave. Un petit garçon désagréable qui aimait attacher les lacets des autres aux pieds des chaises ou bien faire exploser des ballons remplis d’eau dans les toilettes des filles. Il restait malgré tout bon élève, mais c’était une véritable petite tête de mule. Quand Estelle avait lu ce poème, elle avait pensé à lui, car elle était sûre qu’il avait un bon fond.

 

« Il dessine le visage du bonheur. »

 

            Tous les élèves avaient applaudi quand Estelle s’était tu, excepté Octave qui s’était amusé à la huer. Il s’était fait gronder par la maîtresse qui l’avait envoyé à l’endroit que tous les autres élèves avait nommé le « Coin Octave ». Il y était resté tout le reste de l’après-midi.

           

            La fin de la classe était à 16h30 comme dans de nombreuses écoles en France. Mais Estelle restait à l’étude du soir : elle y faisait ses devoirs, discutait avec Aurore, sa meilleure amie qui restait aussi à l’étude, ou bien lisait un livre. Ce jeudi, Estelle commença, comme d’habitude par prendre son goûter. Sa mère lui donnait deux sachets de biscuits (Des gâteaux Petit écolier au chocolat noir) et un yaourt à boire. Il y avait eu ce midi de la purée à la cantine, et Estelle n’aimait que la purée de sa mère, son goûter fut donc englouti en peu de temps. Une fois le ventre plein, elle se mit aux opérations qu’elle devait faire en mathématiques. Elle en vint à bout assez rapidement, mais aida Aurore qui peinait sur les deux dernières divisions. Ensuite, elles s’attelèrent ensemble à un exercice de conjugaison où il fallait compléter les désinences de verbes conjugués à l’imparfait. Pour cela, les deux jeunes filles faisaient chacune de son côté leur exercice, puis elles échangeaient leurs cahiers et se corrigeaient au crayon à papier. Elles s’amusaient tellement à faire comme si elles étaient Mme Maite ! Le directeur de l’école, M. Lundi, devait leur rappeler qu’elles avaient le droit de chuchoter, mais pas de crier. Quand elles eurent fini ce petit jeu, Estelle s’empressait de gommer les traces de crayon sur sa feuille pour ne pas laisser de traces. Aurore le faisait à contrecoeur, mais laissa quand même une remarque d’Estelle qui la faisait vraiment beaucoup rire : « Bravo Mademoiselle Dapret, vous avez acquis le diplôme en Clownerie Professionnelle ! » Elle corrigea les fautes qu’Estelle lui avait indiquées. Les autres élèves discutaient en silence ou travaillaient, et le directeur aidait le petit Aurélien de CE1 A qui avait encore des problèmes de déchiffrage en lecture.

           

            L’étude se déroulait jusqu’à 18 heures. Depuis une demi-heure, Estelle discutait avec Aurore quand le directeur invita les élèves à ranger leurs affaires. Les deux jeunes filles prirent leurs cartables et sortirent de la salle d’étude en parlant de la dernière poupée qu’Estelle avait eue pour ses neuf ans. Aurore proposa à son amie un carambar parfumé à l’Orangina Rouge. Celle-ci accepta bien qu’elle était gênée pour mâcher les caramels ; et pour cause, elle avait perdu, dans la même semaine, deux dents de lait sur la mâchoire inférieure. Les deux jeunes filles descendirent et se dirigèrent vers la sortie du bâtiment principal de l’école. Elles arrivèrent à la grille d’entrée de l’école où quelques parents attendaient leurs enfants. Le petit Aurélien avait retrouvé son papa, et Aurore fit un signe à sa maman.

 

            « Il fait un peu froid ce soir, tu ne veux pas qu’on te ramène ? »

Estelle refusa poliment : elle avait un bon sous-pull, un gros pull et une doudoune. De plus, la température ne lui semblait pas si basse qu’on aurait pu le croire en cette soirée de janvier. Elle dit qu’elle avait envie de marcher, que ce n’était pas la peine de faire un détour, qu’elle n’était pas si loin de chez elle. Aurore lui criai un « au revoir » en lui faisant un signe de la main en suivant sa mère vers leur voiture. Estelle réajusta son béret, puis partit à pied.

 

            La jeune fille aimait bien marcher le soir dans Maugretens. Elle mit ses mains dans ses poches ; elle se dit qu’il faisait quand même encore un peu frais… Elle passa devant une boulangerie qui était à une quinzaine de minutes de chez elle. La boulangère lui sourit à travers la vitrine, mais la jeune fille ne la vit pas, perdue dans ses pensées à inventer une nouvelle histoire de chasse au trésor. Il n’y avait pas beaucoup de voitures qui circulaient dans ce petit village du sud de Paris. Estelle entendit un moteur derrière elle. Elle vit une voiture grise la dépasser. Celle-ci fit demi-tour au rond-point qui se trouvait deux cents mètres plus loin, et repartit dans l’autre sens. Le véhicule, ayant dépassé Estelle de quelques mètres s’arrêta sur le bas côté, et un homme en descendit. La voiture fit à nouveau demi-tour, mais cette fois-ci au milieu de la route. Elle accrocha légèrement une voiture garée sur le bord de la route. Au bruit du choc, Estelle se retourna et vit l’homme qui la suivait. Un peu méfiante, car l’homme ne souriait pas – Estelle faisait peu confiance aux gens qui ne souriaient pas à une petite fille de 9 ans – elle accéléra le pas. Mais l’homme avait de plus grandes jambes et donc avançait plus vite que la jeune fille. La voiture grise s’était mise à la suivre au pas, et, sous la lumière des réverbères, elle devenait vraiment inquiétante.

 

            Tout à coup, Estelle sentit une poigne de fer saisir son bras. Son cœur bondit dans sa poitrine. En se retournant, elle vit l’homme qui la suivait la menacer d’un couteau ; il avait un sourire tordu et un œil qui brillait d’une lueur malsaine. Mais, alors que cet homme allait soulever la jeune fille pour la faire monter de force dans la voiture, un bruit de locomotive se fit entendre, avec ce bruit de vapeur des vieux trains, que les enfants imitent si bien en criant : « Tchou Tchou » dans leurs jeux. Le bruit semblait venir de très près. Cela surprit Estelle car la gare de Maugretens se trouvait à l’autre bout du village, et que de toute façon aucun train ne circulait plus en faisant ce bruit-là. Mais cela suffit à effrayer le kidnappeur : celui-ci fixa un point derrière Estelle et parut saisi de panique. Il lâcha le bras de la jeune fille et s’engouffra dans la voiture en criant à son complice « Dégage, dégage ! » Il y avait dans sa voix quelque chose de beaucoup plus fort que de la peur. Estelle se tourna vers le bruit qui l’avait sauvé, et vit un petit train comme ceux qui vous font visiter les villes portuaires au moment de la pleine saison. Dans ce train, des enfants lui faisaient des signes de la main, l’invitant à la rejoindre. Le train était garé juste devant le muret d’une maison, sur la pelouse qui le séparait du trottoir. Estelle, intriguée, se dirigea vers le train. Il était conduit par une jeune fille qui semblait avoir une vingtaine d’années, et qui avait un teint de porcelaine. Les enfants qui étaient assis dans les « wagons » avaient l’air d’avoir entre 7 et 18 ans.

           

            Estelle ne comprenait pas ce que faisait ce train sur cette pelouse, ni comment il était arrivé là, mais elle était si contente qu’il eut effrayé ses agresseurs, qu’une chose comme le teint de la conductrice ne la surprit pas aux premiers abords. Celle-ci se leva de sa place de conductrice descendit deux marches avec une grâce et une élégance qui impressionnèrent Estelle. Elle était grande, elle avait une longue chevelure couleur bleu nuit, et une belle robe turquoise. Estelle n’en revenait pas ; elle avait l’impression d’avoir face à elle une des princesses de ses contes de fées. Estelle ne la craignait pas, parce qu’elle lui souriait. La dame entrouvrit les lèvres et le son de sa voix sorti comme si elle n’avait pas besoin d’articuler les mots, elle commença donc :

 

« - Bonjour Estelle.

- Bonjour… Mais vous connaissez mon nom ?

- Bien sûr, je connais de nombreuses choses sur toi, Estelle Zuimon. Mais ne crains rien, je ne te veux pas de mal ; je viens te chercher.

- Me chercher ? Mais pourquoi ? Qu’est-ce que vous voulez faire de moi ?

- Reste calme. Nous avons peu de temps. Ce que je vais te dire va te surprendre, mais il faut que tu m’écoutes bien. Il existe sur Terre des êtres de porcelaine. Durant la journée, ils sont comme toi, ils sont normaux, et ont une vie comme celle de tous les autres êtres humains. Mais parfois, ces êtres humains se sentent très fatigués et s’endorment. Là, c’est comme s’ils se dédoublaient : ils deviennent des êtres de porcelaine, des gardiens de vie qui cherchent à veiller et à sauver les êtres humains en danger par négligence humaine.

- Je ne comprends rien.

- Les êtres de porcelaine sont ce que vous appelez généralement sous le nom d’ « anges gardien ». Par exemple, Octave, le garçon turbulent de ta classe, est depuis peu un des ces êtres. Et il a commencé par sauver Aurore en empêchant qu’elle soit renversée par une voiture. C’est son être de porcelaine à elle. Bien sûr, il ne s’en souvient pas lorsqu’il se réveille, il ajuste l’impression d’avoir rêvé, mais sans se souvenir de quoi.

- Mais, moi, je ne veux pas dormir.

- Toi, Estelle, tu n’es pas un être de porcelaine. Tu es un ange.

- Un ange, mais c’est impossible !

- Et pourtant c’est ainsi. C’est ta destinée.

- Mais que va-t-il m’arriver ? Qu’est-ce que je dois faire ? Et pourquoi moi ?

- A ta dernière question, je répondrai tout d’abord que c’est ainsi. C’est le destin qu’a choisi la nature pour toi. Pour ce qui est de ta mission, de ce que tu dois faire, tu as le devoir de sauver des êtres humains.

- Mais, vous avez dit que c’était les êtres de porcelaine qui faisaient ça !

- Oui, mais toi, tu vas devoir sauver des milliers de personnes. L’homme est incapable d’aimer son prochain. La haine grandit chaque jour. Nous sommes aujourd’hui à un paroxysme. Il faut remettre de l’amour dans le cœur des femmes et des hommes qui peuplent cette planète… de l’amour et de l’espoir. Pour ce qui est de ton avenir… tu vas disparaître. » Des larmes montèrent aux yeux de la petite fille.

« - Je vais mourir ?

- Non, tu vas monter dans le train des anges avec les autres enfants que tu vois pour aller remplir ta mission. Mais tu ne seras plus un être de chair.

- Et mes parents ?

- Nous ne pouvons malheureusement pas les prévenir, et tu ne pourras plus leur apparaître… Mais tu pourras toujours leur adresser des signes ou apparaître dans leurs rêves, et leur envoyer tout l’amour que tu voudras.

- Je ne reviendrai jamais ?

- Je ne sais pas. J’ai toujours de l’espoir en l’être humain. Il peut un jour se raisonner et se décider enfin à aimer sans compter. Nous pourrions peut-être regagner nos vies… »

Une petite larme bleu nuit coula le long de la joue de la dame de porcelaine. Estelle se jeta contre elle en éclatant en sanglots.

 

Une main vint se poser sur l’épaule d’Estelle. Le contact était doux, et il lui semblait que cette main l’apaisait. Elle se retourna : le visage de la jeune fille derrière elle ne lui était pas inconnu, mais elle le voyait un peu plus jeune… D’un coup, cela lui revint : c’était une jeune fille de 15 ans qui avait disparu trois ans auparavant ; Estelle l’avait vue aux informations et sa maman lui avait dit qu’elle avait été enlevée par des méchantes personnes. Une agréable chaleur se répandit dans le corps d’Estelle et elle sentait qu’elle était en train de devenir esprit. Accompagnée de la jeune fille et de la dame de porcelaine, elle monta dans le train des anges en jetant un dernier regard sur son ancienne vie.

 

 

 

 

www.estelle-mouzin.com

 

 

 

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