La fin de ce monde /// La nouvelle en PDF !
Pour imprimer la nouvelle (et éviter de lire la fin en allant voir en bas de la page), téléchargez la nouvelle en version PDF !
La fin de ce monde.pdf
Document Adobe Acrobat 49.5 KB

La fin de ce monde

 

Thomas Burnet.

 

                Nathanaël sortit de l’ascenseur en soupirant. Face à lui, sur la porte de la famille Morin, un père Noël illuminé égayait le couloir sombre. Il tourna à gauche et avança jusqu’à la porte du fond. Il fouilla les poches de son manteau à la recherche de ses clés : des mouchoirs, son pass Navigo, son portable – 23h43, encore une journée de 17 heures de boulot !!! - pour enfin trouver le porte-clés avec la photo de ses deux enfants Eléa et Valentin, qu’il ne verrait encore pas cette semaine. Il tourna délicatement la clé dans la serrure et ouvrit la porte qui malgré toutes ses précautions grinça tout de même.

 

            A l’intérieur de l’appartement, Pauline avait laissé les guirlandes allumées. Nathanaël sourit en les voyant. Il posa sa sacoche, son manteau et rejoignit le séjour. Il s’affala en face du sapin, les yeux perdus dans les décorations lumineuses. Seul, devant cet arbre en plastique, il imagina ce qu’avait été la fin de journée : les dessins animés et les chants de Noël, l’ouverture rituelle des calendriers de l’Avent du soir, le rituel du cierge magique en chantant « Mon Beau Sapin » ; l’excitation des fêtes qui montait d’un cran supplémentaire à mesure des jours.

 

Il aimait voir ses enfants vivre ces instants parce que, de son enfance, ce sont les meilleurs souvenirs qu’il garde. Il aimerait voir ses enfants se régaler de cette ambiance de fête au lieu d’être retenu au bureau dans le cadre de ce dossier Dutartre.

 

            Sur la table basse, Pauline avait laissé trainer un article sur la dernière fin du monde à la mode. Il se rappela alors que depuis une semaine, c’était la blague du moment et que tout avait un rapport avec la fin du monde : à chaque fait d’actualité, l’apocalypse n’était pas loin. Régulièrement, Damien lui avait rappelé que la fin du monde s’abattrait vraiment sur lui si le dossier Dutartre n’était pas réglé pour vendredi.

 

            Vendredi, c’était demain, c’était dans cinq minutes et ce maudit dossier était loin d’être bouclé. C’était toujours ainsi. La veille, il restait énormément de travail, on faisait les efforts et les sacrifices nécessaires pour rentrer dans les délais et tout allait bien : on n’était pas renvoyé, on recevait la prime et le compte à rebours s’enclenchait pour un nouveau dossier, encore plus important, encore plus urgent… Avant Dutartre, il y avait eu Argney. Et encore avant Le Parc, Roger, Maincent ou bien Carnet. Au final, Nathanaël était tout le temps sous pression, il vivait pour son travail et les enfants ne l’attendaient pas pour grandir.

 

            Au mur, l’horloge à leds indiqua 23h59. Il regarda, un à un, les points rouges s’allumer lentement, régulièrement, fatalement. Alors qu’elles avaient franchi la moitié du cadran noir, une pensée s’empara du jeune cadre : et si c’était vrai ? Et si la journée à venir était la dernière ? Aurait-il envie de la passer au bureau, à plancher sur un dossier, un de plus, dans l’urgence, laissant une nouvelle fois ses enfants de côté ? Les lumières entamèrent le dernier quart et les choses s’éclaircirent en lui. Au moment où les soixante leds s’éteignirent, au moment où quatre zéros s’affichèrent, au moment où il mit le pied dans le jour de l’apocalypse, Nathanaël avait pris une décision…

 

            Il ne dormit pas beaucoup cette nuit-là, il réfléchit beaucoup et passa d’une chambre à l’autre, regardant dormir ceux qui comptaient vraiment, ceux à côté de qui il devait passer ses derniers instants. Vers deux heures du matin, il quitta la chambre de Valentin où il s’était laissé bercer par la respiration calme et paisible, et rejoint Pauline dans le grand lit. Elle se tourna vers lui pour le traditionnel baiser de bonne nuit, pas plus étonnée de le voir se coucher aussi tard, mais Nathanaël l’embrassa différemment. Il y avait de la fougue, du désir, de l’envie. Pauline finit de se réveiller et lui rendit cette passion. Soudain, elle s’éloigna et lui demanda : « comme ça, au milieu de la nuit ? ». Il planta son regard dans le sien : « oui, au milieu de la nuit… J’ai gâché tant de moments… Nous n’avons plus le temps d’attendre ! Je t’aime, je t’aime… Oh mon Dieu ! Qu’est-ce que je t’aime ! ». Pauline sourit et se jeta sur son mari.

 

            Deux heures plus tard, ils s’endormirent, nus, l’un contre l’autre, repus d’amour et de plaisir. Pauline murmura ; « j’aimerais te garder près de moi toute la vie. » Vers six heures, le réveil sonna. Nathanaël frappa dessus et déclara : « je ne vais pas travailler aujourd’hui » avant de rentrer sa main sous la couette. Sa femme releva la tête et l’interrogea : « tu ne vas pas bosser ? Tu as eu un jour ? ». Sans bouger, ni même ouvrir les yeux, son mari lui répondit : « Non, je prends ma journée. C’est mon temps, j’en fais ce que je veux ! Si aujourd’hui c’est la fin du monde, alors nous la passerons ensemble ! ». Pauline se rallongea, le sourire aux lèvres.

 

            Pauline ne travaillait pas le vendredi. La directrice de l’école fit une drôle de voix lorsqu’ils appelèrent pour excuser l’absence de leurs enfants, mais la journée fut radieuse ; ils allèrent à la fête foraine, tournèrent, voltigèrent, et rigolèrent comme jamais ils n’avaient rigolé en famille. Ils se payèrent un fast-food sur les Champs Elysées et passèrent l’après-midi à suivre leurs envies. Nathanaël avait l’impression d’enfin respirer, d’enfin sentir de la vie couler dans ses veines, d’enfin vivre ! Il ne pensait pas au dossier Dutartre, qui avait rythmé son quotidien au cours des deux dernières semaines, il ne pensait pas même au temps qui filait bien trop vite et encore moins aux prophéties de fin du monde : il était là et maintenant. Il profitait de chaque instant, embrassait sa femme et câlinait ses enfants.

 

            Après une séance de cinéma, ils renouèrent avec un vieux rituel que Nathanaël n’avait pas pratiqué depuis ses vacances d’enfant chez ses grands-parents : le thé tard. Ils dinèrent d’un bon petit déjeuner, ce qui fit beaucoup rire les enfants.

 

            Ils tombèrent de fatigue après manger et partirent se coucher, des étoiles plein les yeux, ne comprenant pas vraiment pourquoi ni comment cette journée s’était produite, mais heureux de l’avoir vécue. Pauline et Nathanaël refirent l’amour, sur la table de la cuisine, sur le canapé, et pour finir, sous la douche. La jeune mère de famille aimait aussi cette parenthèse salutaire, mais avant de se coucher, elle appréhendait le lendemain et le brusque retour à la réalité. Parce qu’il fallait bien se rendre à l’évidence, à 23h03, la fin du monde n’avait pas eu lieu. Nathanaël ne dit rien, mais il l’enveloppa de tout son amour.

 

            Lui-même avait bien mesuré les conséquences. Quand sa femme fut complètement endormie, il se leva et retourna sur le canapé, face à l’horloge à leds. 23h46. Il était patient. Il attendit, l’esprit calme, vide, plongé dans l’instant présent. Au gré des lumières rouges qui allaient et venaient, la dernière minute de l’apocalypse se présenta, identique à toutes les autres avant elle.

 

            Nathanaël fixa chaque point avec attention. A mesure que le rond rouge apparaissait, une légère angoisse monta en lui. Lorsque le cercle s’éteignit, il poussa un soupir de soulagement.

 

            Il était heureux.

 

            L’Apocalypse avait bien eu lieu.

 

            Dans quelques heures, il remettrait sa démission. Il postulerait pour un poste simple et humble, sans pression, sans urgence, sans sacrifices.

 

            La fin du monde du profit et de la croissance, pour l’émergence d’un nouveau monde d’amour et d’union.

 

            Il arrêtait de subir.

 

            Il commençait à vivre.

 

FIN

 

« It’s the end of the world as we know it, and I feel fine » REM - It’s the end of the world.

 

 

 

Vous venez de lire La fin de ce monde. Donnez-moi votre avis sur le livre d'or !

 

===>  Livre d'or  <====