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Le week-end

Par Thomas Burnet

« Tout ce qui est susceptible de mal tourner, tournera nécessairement mal. » Loi de Murphy.

Mes hommages au grand Maître : Paul Guimard.

Vendredi 5 juin 2009, 17h20 : Enfin ! Le week-end !

Phil referma la porte de son bureau. Il était soulagé d’avoir réussi à tenir son planning : éviter tout rendez-vous ce vendredi soir et prendre son samedi pour partir en week-end avec sa famille dans la maison d’Hossegor. Il partageait cette maison avec son frère, sa sœur et ses parents. Ses derniers étant à la retraite et  particulièrement désireux de voir leurs petits, il lui était assez difficile de s’y retrouver seul, avec sa femme et ses deux enfants. Et lorsque ses parents n’occupaient pas cette maison de vacances, c’était sa sœur, dont le mari était fondu de snowboard et des sports nautiques, qui passait ses week-ends à Hossegor. Il avait planifié ce week-end au moment où ses parents lui avaient parlé de leur intention de partir en voyage à Istanbul. Il confirma son projet lorsqu’il apprit que sa sœur était retenue à Bordeaux par un week-end avec l’Association de Parents d’Elèves de l’école de ses trois enfants et que son frère partait avec les siens en Allemagne pour le mariage de sa belle-sœur. L’adéquation était si parfaite qu’il y aurait presque vu un signe : la maison ne pouvait être que libre, c’était l’occasion parfaite. Il passa devant l’accueil de la banque, salua Mme Briglet, et s’avança vers le sas. Un client était à l’intérieur, il se recula, pour le laisser ouvrir la lourde porte que la secrétaire d’agence débloquait.

Vendredi 5 juin 2009, 17h21 : Oh non !

Dès que la porte s’ouvrit, Phil sut que le programme de départ en week-end allait être bouleversé. Devant lui, apparut Monsieur Michot. Monsieur Michot était un de ses clients. Monsieur Michot avait quarante-trois ans, une femme, et deux enfants. Monsieur Michot payait des mensualités pour le prêt de sa maison. Mais surtout, Monsieur Michot avait été licencié de l’usine Globus deux mois auparavant. Lorsque le père de famille découvrit son conseiller bancaire face à lui, une lueur éclaira son regard. Le temps sembla se figer, alors que les pensées défilaient dans la tête de Phil : lui, conseiller bancaire, se dépêchait pour pouvoir partir en week-end, face à cet autre lui, père au chômage, qui espérait sûrement pouvoir modifier sa situation financière pour pouvoir, peut-être, prendre lui aussi un peu de bon temps au cours du week-end. Phil le salua en lui serrant la main, avec le visage de celui qui comprend et qui compatit.

- Bonjour monsieur Pyrhum, excusez-moi de vous déranger, mais j’aimerais vous voir si vous avez cinq minutes.

Mme Briglet interpela le banquier, en lui indiquant que sa femme était au téléphone. Phil s’excusa auprès de Monsieur Michot et prit le combiné.

- Allo, Phil ?

- Oui chérie, qu’y a-t-il ?

- En passant à l’école, n’oublie pas de déposer le chèque de cantine des enfants dans la boîte aux lettres de la mairie. C’est soixante-treize euros quarante-cinq centimes, au nom du Trésor Public.

- D’accord. Euh… Monique… Son regard se posa sur monsieur Michot. Il hésita.


Vendredi 5 juin 2009, 17h22 : - Oui ?

- Monique, il y a un petit contretemps…

- Comment ça ?

- Il y a un client que je dois voir absolument… C’est monsieur Michot…

- Encore lui ? Et notre week-end dans tout ça ? Sans compter que je ne vais pas pouvoir aller à Auch et arriver à l’heure pour prendre les enfants à l’école.

- On échange si tu veux : tu vas chercher les enfants et j’irai au garage après l’avoir vu, ça ne devrait pas me prendre trop longtemps.

- Oui… Comme la dernière fois… Enfin, de toute façon, quand tu as décidé quelque chose, personne ne peut t’empêcher de le faire, donc… En tout cas, bravo pour l’organisation : tu devras repasser à la maison pour ensuite aller au garage du côté de mon cabinet. Non, bravo !

Et elle raccrocha.

Phil soupira, puis se dirigea vers monsieur Michot et l’invita à passer dans son bureau.

            Vendredi 5 juin 2009, 19h22 : Mais pourquoi ai-je donc pris cette foutue route ?

Le rendez-vous avec monsieur Michot avait duré trois quarts d’heure durant lesquels Phil lui avait accordé un report temporaire de trois mois pour les échéances de la maison, avait augmenté le seuil maximum de découvert, avait mis en place un prélèvement automatique depuis le compte d’épargne et avait réduit au maximum les virements vers les plans d’épargne retraite de monsieur et madame Michot. Monsieur Michot avait déjà entrepris les démarches pour trouver un autre travail et avait un entretien d’embauche la semaine suivante. C’est pour ça que Phil avait décalé son programme, parce que monsieur Michot avait la rage de s’en sortir et il ne voulait donc pas être celui qui lui mettrait des bâtons dans les roues.

            Le banquier avait démarré sa voiture vers dix-huit heures vingt, avait rejoint son domicile pour récupérer le véhicule prêté par le garage pendant la réparation du monospace familial et était parti à Auch. Vingt minutes plus tard, le garagiste lui expliquait la panne et la façon dont il l’avait réparé, mais Phil ne retint de ce long monologue que les mots « voyants », « déclenchement », « alarme moteur », « mise à jour » et « 25€31 ». Il paya, en se demandant comment une mise à jour informatique pouvait faire en sorte que sa voiture fonctionne à nouveau. Pour revenir à Barran, il fit comme à l’aller et ignora le panneau indiquant que la route de La Martinique était barrée ; il y avait une voie neutralisée sur deux cents mètres, mais un feu avait été mis en place pour réguler la circulation pendant le week-end. A l’aller, tout s’était bien déroulé ; mais là, une voiture sans permis s’était engagée sur la route, alors que son feu était rouge. Le véhicule en face s’était légitimement engagé et les deux automobilistes se bloquaient mutuellement, à côté de la profonde travée, chacun étant convaincu d’être dans son bon droit. Pour ne rien arranger, derrière eux, de chaque côté, les véhicules s’avançaient ; le tout était baigné dans un concert de klaxons et de jurons. Phil hésita avant de s’engager lui aussi sur l’unique voie. La situation semblait bloquée.

Vendredi 5 juin 2009, 19h32 : Bon tant pis !

La voiture sans permis avait tenté une marche arrière, devant l’insistance de l’imposant 4x4. Les deux autres véhicules qui s’étaient engagés derrière elle avaient déjà reculé, et il restait à la voiture sans permis à réussir sa marche arrière. Phil était monté sur le marchepied de sa portière et avait observé la scène avec dépit. Il avait pris sa décision en voyant la petite voiture faire tomber une de ses roues dans la travée. Il en avait informé la femme qui lui succédait qui avait fait passer le message aux autres automobilistes entassées derrière eux. Il se rassit, referma sa portière et regarda dans son rétroviseur pour faire demi-tour.

Vendredi 5 juin 2009, 20h06 : Chérie, je suis enfin rentré !

Il avait fallu à Phil attendre que plusieurs véhicules derrière lui fassent demi-tour avant que lui aussi puisse s’y mettre. Il avait rejoint très lentement la déviation de La Martinique et regagné sa maison à Barran. Monique avait eu le temps de finir les sacs de voyage, de baigner et de préparer le repas des enfants. Ces derniers étaient en train de commencer leur dîner lorsque leur père ouvrit la porte de la maison.

Le dîner des enfants dura une bonne demi-heure, pendant laquelle Phil compléta son sac et chargea la voiture. A neuf heures moins le quart, les enfants avaient fini de manger et avaient installé à l’arrière les affaires dont ils ne voulaient pas se séparer. Virgile, le labrador familial, était installé sur le siège du milieu, allongé sur une couverture. Monique leur demanda de passer aux toilettes une dernière fois avant de partir. Enzo et Alya s’exécutèrent avant de revenir vers la voiture. Ils étaient tous les deux en pyjama, avec leurs chaussons aux pieds, pour pouvoir se coucher à Hossegor, dès qu’ils arriveraient. Enzo traversa la petite cour en courant, suivi par sa petite sœur qui essayait d’arriver la première à la voiture, sans se douter que son grand frère lui avait donné un défi impossible à réaliser. Arrivée près de la voiture, son chausson dérapa et elle tomba sur le petit muret de la cour.

Vendredi 5 juin 2009, 20h56 : AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !

Vendredi 5 juin 2009, 20h57 : AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH ! Paaaaaaaaaaaapaaaaaaaaaa !

Phil accourut et découvrit sa fille par terre, se tenant le poignet, le front en sang. Il la prit dans ses bras et l’amena dans la cuisine, où il essuya le sang sur le front d’Alya pendant que Monique allait chercher la trousse de secours. Après avoir observé la plaie au front, sa femme décida qu’il valait mieux l’emmener aux urgences de l’hôpital d’Auch, pour suturer la blessure et vérifier sa douleur au poignet. Enzo insista pour venir avec sa mère, car une semaine auparavant, il avait eu la visite d’un médecin urgentiste à l’école et voulait venir voir comme c’était « pour de vrai ». Phil regarda avec déception l’horloge du four indiquer vingt-et-une heures et emboita le pas.

Vendredi 5 juin 2009, 22h45 : Papa, qu’est-ce qu’on attend ?

La famille Pyrhum attendait dans la salle d’attente de radiologie. Arrivés à l’hôpital d’Auch, il leur avait d’abord fallu trouver l’entrée du service d’urgences. Ils avaient ensuite dû attendre avant d’être pris en charge : entre deux grands-mères qui s’étaient cassé le col du fémur et qui étaient au bord de la syncope, deux blessés d’un carambolage dans le centre d’Auch et un accident vasculaire cérébral, ils virent qu’ils n’étaient pas sur le haut de la liste en terme de gravité ; sans compter qu’ils ne savaient pas dans quel état étaient ceux dont on s’occupait déjà. Phil et Monique en avait profité pour avaler les sandwichs qu’ils auraient dus manger sur la route du week-end. La plaie ouverte d’Alya fut pansée par un infirmier en attendant qu’un médecin puisse venir pratiquer la suture, celui-ci identifia aussi la douleur que la jeune fille ressentait au poignet comme une fracture et leur indiqua qu’il faudrait sûrement qu’elle fasse une radio et qu’elle soit plâtrée. Après qu’un jeune homme qui s’était coupé deux orteils leur fut passé devant, le docteur Hermy vint et sutura la jeune fille de quatre ans qui fut très courageuse et ne pleura pas. Il leur fallait maintenant passer une radio pour vérifier l’état du poignet, mais pour cela, il leur fallait encore patienter un peu.

Samedi 6 juin 2009, 00h12 : Tu te sens de partir là ?

Le poignet d’Alya était vraiment cassé et il fallut donc la plâtrer. La petite fille était très fière de son plâtre en résine jaune et savait déjà que, lundi, sa maîtresse se ferait une joie de lui faire un petit dessin, comme elle avait fait sur le plâtre d’Ameline en début d’année. Elle était revenue à la maison avec son frère et ses parents et ces derniers se demandaient maintenant s’ils n’allaient pas attendre le lendemain matin pour partir. Monique et Phil se mirent d’accord pour un départ le samedi matin, vers huit heures. Ils ajustèrent leur réveil, couchèrent les enfants, Phil rentra le monospace dans le garage et la dernière lumière de la maison s’éteignit un peu après minuit et demi.

Samedi 6 juin 2009, 08h12 : Papa ? Papa ! On part quand ?

Phil se demanda pourquoi Enzo venait lui poser cette question et lui répondit : quand le réveil aura sonné, vas te recoucher en attendant. Le garçon reprit en demandant à son père pourquoi son réveil clignotait. Il se releva soudainement pour vérifier le radioréveil posé sur la table de chevet. En effet, ce dernier clignotait. Phil s’exclama : une coupure de courant, il ne manquait plus que ça ! Monique se leva et ouvrit les volets pendant que Phil s’habillait en vitesse. Il alla chercher Alya, qui, malgré son plâtre, avait bien dormi et l’aida à s’habiller. Lorsque les enfants descendirent avec leur père, Monique leur avait déjà préparé le petit déjeuner. Les céréales et les tartines avalées, tout le monde passa une dernière fois aux toilettes.

Samedi 6 juin 2009, 09h02 : C’est bon cette fois-ci ? On peut y aller ? 

Tout le monde monta en voiture, Virgile s’allongea à sa place, et le monospace partit en direction de la départementale.

Samedi 6 juin 2009, 09h12 : Oh non ! Grouby ! 

C’était le cri du cœur d’Alya, qui avait oublié son doudou Grouby dans son lit. Monique regarda avec désespoir son mari qui profita de la première intersection rencontrée pour faire demi-tour.

Samedi 6 juin 2009, 09h45 : Papa ? C’est quand qu’on arrive ?

Samedi 6 juin 2009, 10h25 : Et ben, vous savez quoi ? Et ben Fabien, il a trop de chance parce qu’il a de l’argent de poche ; et avec son argent de poche, et ben il s’est acheté un porte-clés de Zidane.

Une fois remis d’apprendre qu’un garçon de six ans recevait de l’argent de poche, Phil et Monique se jetèrent un regard mi-paniqué, mi-interrogateur. Comme ils traversaient Barcelonne-du-Gers, Phil se gara sur une place de stationnement. Alya tenta un « On est déjà arrivé », mais le ton qu’elle avait employé montrait qu’elle n’y croyait pas beaucoup, ne reconnaissant pas le paysage du lac d’Hossegor. Phil fouilla dans sa sacoche alors que sa femme retournait son sac à main.

- Rien ! Annonça Phil.

- Rien non plus ! Répondit Monique.

- Et merde ! Jurèrent-ils en chœur. Monique se retourna et déclara, en essayant de poser le plus possible sa voix : bon, les enfants, je suis désolée. Nous devons revenir à la maison parce qu’on y a oublié les clés.

- Les clés de la voit… commença Alya.

- Ben non, t’es trop bête ! Coupa Enzo. Si c’était les clés de la voiture, on n’aurait pas pu rouler !

- Enzo, sois gentil avec ta sœur, reprit Phil. On va faire demi-tour, on récupère les clés et on fera le trajet jusqu’à Hossegor. On profitera d’être la maison pour que vous passiez aux toilettes.

- Il faudra peut-être déjeuner aussi, ajouta Monique.

- Ah merde ! Bon, ben on prendra une boite de gâteaux à la maison et on déjeunera au Mc Do de Mont de Marsan.

- Tu es sûr ? Ca fait long tout de même.

- Oui, mais sinon, on n’arrivera jamais chérie !

- Ok. Bon allons-y ! Ou plutôt revenons-y !

Et Phil repartit en direction de Barran.

Samedi 6 juin 2009, 11h30 : Oh merde ! On n’a pas coupé l’eau.

 C’est un bruit étrange qui avait attiré Phil vers la salle de bain. Il s’était demandé ce qui pouvait produire un tel son, tout en ayant peur de la réponse. Il avait d’abord découvert une flaque d’eau dans le couloir, flaque qui se révélait être le résultat d’une fuite du robinet du lavabo de la salle de bain. Monique s’arrangea avec les voisins pour qu’Alya puisse aller jouer chez Capucine et Enzo chez Robin. Par chance, les deux mères de famille, compréhensives, proposèrent même de les faire manger avec eux, ce qui régla le problème du déjeuner des enfants. Pendant que sa femme épongeait la flaque qui avait finalement atteint son bureau, Phil répara le tuyau d’arrivée d’eau. L’embout avait cassé, sans aucune explication logique ; mais il ne cherchait même plus la logique dans ce week-end catastrophique. Il trouva, au prix d’une longue recherche dans les entrailles du garage, un embout qui convenait et qui semblait pouvoir faire l’affaire en attendant qu’en racheter un en acier trempé, doublé de téflon. Monique était intervenue suffisamment vite pour que le parquet du bureau ne soit pas endommagé, mais pour celui du couloir, c’était moins bien parti. Après avoir arrêté l’hémorragie liquide, Phil s’occupa de l’intérieur du meuble sous-lavabo, essayant de sauver ce qui pouvait l’être : le contenu des étagères à l’intérieur du meuble qui supportait la vasque était complètement imbibé ; il fallait donc jeter la moitié des choses, mettre au lave-linge les serviettes et essuyer ce qui était récupérable. Les étagères et la structure du meuble, prévus pour être dans un milieu humide, mais pas inondés, étaient irrécupérables. Par avance, Phil ne se réjouit pas du programme qui l’attendait pour la journée du lundi.

Samedi 6 juin 2009, 14h01 : Papa ! On est obligé d’y aller ? 

            Cette question irrita Phil, car lui aussi c’était demandé s’il ne fallait pas lâcher prise et arrêter de s’obstiner. A Barran, il fallait maintenant changer le meuble de la salle de bain, trouver un embout super résistant pour l’arrivée d’eau, écumer les magasins de bricolage pour trouver quelques bottes de parquet pour le couloir, et faire les lessives de serviettes. Mais il avait préparé depuis si longtemps ce week-end qu’il ne voulait pas tout laisser tomber. Même s’ils étaient samedi après-midi, il leur restait des choses à faire : profiter du calme de la maison, aller manger les crêpes de mémé Janine, et initier Enzo au canoë le dimanche matin, avec le nouveau matériel pour enfant acheté par son beau-frère… Il se disait qu’il fallait encore essayer, au moins une fois. Il réussit à convaincre Monique que ça valait encore le coup, expliqua à Enzo pourquoi ils allaient tout de même partir et dût attendre qu’Alya finisse sa partie de bowling sur console avec Capucine, avant de finalement partir.

Samedi 6 juin 2009, 14h32 : Bon, c’est reparti !

Samedi 6 juin 2009, 14h33 : Papa ? C’est quand qu’on arrive ?  

Samedi 6 juin 2009, 15h56 : Papa ! J’ai trop envie de faire caca !

Phil trouva cela étrange que cette phrase fatale ne fut pas dite plus tôt et s’étonna d’avoir pu faire près de la moitié de la route sans l’entendre. Il se dit que, peut-être, la roue tournait et espéra pouvoir profiter de la fin de son week-end tranquillement. Ils arrivaient justement à proximité de Grenade-sur-L’adour, où il y avait plusieurs stations service. Phil gara la voiture à la première qu’il trouva et emmena Enzo aux toilettes. Monique en profita pour faire de même avec Alya, afin d’éviter un nouvel arrêt, dix minutes plus tard.

Samedi 6 juin 2009, 16h04 : Enzo ! Le chien ! ET MERDE !

            Phil avait vu la scène se dérouler de loin. Quelques minutes avant, il attendait les filles avec son fils dans la station service. Le petit garçon avait pensé que Virgile voudrait lui aussi passer aux toilettes et avait proposé d’aller le chercher. Phil lui avait dit que c’était une très bonne idée. Enzo était allé jusqu’à la voiture, avait ouvert la portière, et pendant qu’il cherchait la laisse du labrador, Virgile avait sauté à terre et s’était échappé en direction de l’Adour, le fleuve au sud du village. Enzo s’était redressé en entendant son père crier et avait regardé, impuissant, son chien tourner au coin d’une maison avant de fondre en sanglots et de courir vers son père. Phil le prit avec lui puis débarqua dans les toilettes pour femmes, où sa fille et sa femme se lavaient les mains. Il leur expliqua rapidement la situation, confia les clés de la voiture à Monique et ressortit de la station en courant. Il consola Enzo, lui promit qu’ils retrouveraient leur chien, et tous deux partirent à leur tour en direction de l’Adour. Arrivés sur la berge du fleuve, ils demandèrent aux passants qu’ils croisaient s’ils n’avaient pas vu un labrador noir se promener seul. Enzo ne s’était toujours pas calmé et pleurait en disant qu’ils ne retrouveraient jamais Virgile, qu’une voiture allait le renverser ou que quelqu’un l’emmènerait et le garderait pour toujours avec lui. C’est un vieux monsieur qui les interpela en leur indiquant l’autre rive du doigt et Phil fut surpris de découvrir son chien qui reniflait quelque chose de l’autre côté du fleuve. Lorsqu’Enzo l’appela au milieu de ses sanglots, le chien releva la tête dans leur direction, puis s’éloigna vers les champs en courant.

Samedi 6 juin 2009, 17h44 : Allo ? Phil ? Ca y est, on a récupéré le chien. 

            Phil avait ramené Enzo à la voiture, avant de partir en direction des champs et de la forêt, de l’autre côté de l’Adour. Il trouva le pont par lequel le chien avait passé la rivière, avait traversé Larrivière-Saint-Savin et avait exploré les bois et les champs tous proches pendant une heure et demie ; heure et demie pendant laquelle Monique et les enfants avaient patiemment attendu à la station service, espérant que le chien retrouve le chemin de la voiture. C’est un des grenadois rencontré à la station service qui avait retrouvé l’animal trottant dans les rues de Grenade-sur-L’adour et qui avait eu la gentillesse de le ramener à ses propriétaires. Monique traversa le pont pour récupérer son mari devant l’église de Larrivière. En entrant dans la voiture, Phil eut un haut le cœur à cause de l’odeur que son chien dégageait. Ce dernier avait du trouver dans les bois une belle mare boueuse. Monique avait fait ce qu’elle avait pu avec l’aide des gérants de la station service, mais le chien puait toujours énormément. A l’arrière, Alya faisait la grimace et Enzo ne quittait plus Virgile des yeux, insensible à son odeur pestilentielle, tellement heureux d’avoir retrouvé son chien sain et sauf.

- On continue ?

- On est à mi-chemin, ce serait dommage de reculer maintenant…

- Ok. Mais je conduis, j’en ai marre de rester à ne rien faire. 

Et Monique rejoignit Grenade et la route de Mont-de-Marsan.

            Samedi 6 juin 2009, 18h13 : AH ! C’est dégeux ! Alya a gerbé dans la voiture !

            La jeune fille avait tenu une demi-heure, et malgré les vitres ouvertes, avait rendu les gâteaux grignotés à la station service en attendant le retour de Virgile. La famille venait de dépasser Mont-de-Marsan et Monique sortit de la nationale à la station service toute proche. Il fallut encore vingt bonnes minutes pour nettoyer Alya, l’intérieur de la voiture et aérer suffisamment pour que tout le monde puisse s’enfermer à nouveau dans le monospace. Il leur restait une heure cinq de route. Un peu plus d’une heure avant le week-end... Enfin !

Samedi 6 juin 2009, 19h04 : PUTAIN DE PUTAIN DE MERDE ! 

Alya et Enzo regardèrent leur père avec des yeux inquiets. A seulement trente minutes du lac d’Hossegor, le destin venait d’assener le coup de grâce à la famille Pyrhum, la goutte d’eau qui fit se déverser la colère du jeune père. Un peu avant Saint-…, Phil avait insisté pour qu’ils préfèrent l’A63 à la nationale, même si ce n’était que pour quelques kilomètres. Monique avait sentit très vite un problème au niveau de la direction et s’était arrêtée à l’aire de Saubion pour vérifier l’état de la voiture. C’est Phil qui découvrit le pneu avant droit crevé. Il fallut vider l’ensemble du coffre pour accéder à la roue de secours. Et pour une fois de plus dans le week-end, la chance leur tourna le dos et une pluie diluvienne s’abattit sur l’aire d’autoroute. Les bagages furent rapatriés à l’avant et sur les sièges arrière, puis Monique emmena les enfants à l’abri, devant les toilettes de l’aire. Phil, lui, restait sous la pluie à changer sa roue, sous le regard compatissant des autres automobilistes, qui n’hésitaient pas à frapper sur un arbre ou sur une des tables de pique-nique pour conjurer le mauvais sort.

Samedi 6 juin 2009, 20h12 : Quoi ? On va plus manger de crêpes chez Mémé Janine ??? C’est trop nul !  

Samedi 6 juin 2009, 20h16 : C’est quand qu’on arrive ? J’ai trop faim !

Samedi 6 juin 2009, 20h47 : Et voilà !

Avec près de vingt-deux heures de retard, la famille Pyrhum franchit enfin la porte de la petite maison au bord du lac d’Hossegor. Phil et Monique avaient décidé d’annuler la réservation chez mémé Janine et de prendre des pizzas à emporter au camion de Paulo. Les enfants s’étaient plaints de la route, mais Phil leur était reconnaissant d’avoir tout de même subi les tracas du trajet. Tout le monde s’installa à table et ils eurent enfin leur moment de décontraction et de repos. Après le dîner, Monique coucha les enfants alors que Phil vidait la voiture. Les deux parents se retrouvèrent ensuite dans leur chambre pour décompresser à leur façon. Mais le destin les suivit jusque dans leur lit car le métabolisme de Phil lui fit le coup de la panne et ils s’endormirent, plein d’amertume et de tension.

Dimanche 7 juin 2009, 09h21 : Papa ! Ils sont où les croissants ?

Phil ne se souvint pas tout de suite du lieu où il se trouvait, puis les mauvais souvenirs des deux derniers jours lui revinrent. Enzo frappait à la porte, en attendant que ces parents le laissent entrer dans leur chambre – ce rituel avait été établi à la suite d’un dimanche matin où Enzo avait voulu faire une blague à ses parents en les réveillant avec le minuteur de la cuisine, mais les avait trouvé complètement réveillés et très actifs.

Le jeune garçon venait pour réclamer ce qui ne faisait jamais défaut lors des petits déjeuners d’Hossegor : les croissants et le pain frais. Phil grommela en s’habillant assez vite. Il savait que s’il voulait faire un peu de canoë sur le lac avec son fils, il ne devait pas trop tarder. Il demanda à Enzo de promener le chien pendant qu’il serait partit, mais le jeune homme était encore traumatisé par ce qui s’était passé la veille et n’osait plus s’occuper du chien seul. Phil partit donc en voiture avec Virgile vers la Panière d’Argent, plus bas près du lac.

Dimanche 7 juin 2009, 09h40 : 5 euros et soixante-dix centimes s’il vous plait monsieur.

Phil l’avait senti venir au moment où la vendeuse avait commencé sa phrase : il avait oublié son portefeuille dans son pantalon de la veille. Rien. Pas de monnaie. Pas de carte. Pas de chéquier. Il ne connaissait pas assez les propriétaires de la boulangerie pour qu’on lui fasse crédit et dut revenir bredouille. Il se rendit compte que ni lui, ni Monique n’avaient de la monnaie. Heureusement, une banque jouxtait la boulangerie et le détour fut très court avant de pouvoir revenir acheter le petit déjeuner de la famille.

Dimanche 7 juin 2009, 10h04 : Dis Phil, tu es sûr que Jim a acheté des canoës pour la maison ?

A peine avait-il déposé les viennoiseries et les baguettes sur la table que cette question vint l’irriter un peu plus.

- Il m’a saoulé à Noël avec ce matériel quasi professionnel et nous a demandé près de quatre cents euros pour ça. Alors oui, je suis sûr qu’il les a achetés.

- En tout cas, il n’y a rien dans le garage.

- Fais déjeuner les enfants, je vais voir ça.

            Après avoir retourné le garage dans tous les sens, Phil dût se rendre à l’évidence qu’en effet, il n’y avait aucun matériel pour canoë. Il revint dans la salle à manger, où Monique et les enfants se régalaient des croissants et des pains aux chocolats, décrocha le téléphone et appela sa sœur. Elle lui apprit que Jim les avait prêté à un voisin et demanda à son frère de l’appeler pour savoir précisément qui. Jim et ses enfants étaient déjà sur le terrain de boules, pour le début de la seconde journée du championnat de pétanque de l’école.

- Saaaaaaalut Philou ! Comment se passe ton week-end à Hossegor ? Tout va comme tu veux ? Tu as pu voir Florian ?

- Florian ?

- Ouais, Flo, mon pote ! Il est dans une des maisons en face de la notre. Le fait que Jim considère cette maison comme la sienne ne cessait d’irriter Phil, mais tout de même moins que lorsqu’il l’appelait Philou.

- Non. La maison en face est… fermée.

- Ben oui, il est parti.

- Alors comment veux-tu que j’ai pu le croiser ?

- Ben hier ! Il partait vers treize heures.

- On a eu quelques soucis sur la route, on est arrivé hier soir.

- Hier soir ! Ben ça fait plutôt court comme week-end dis donc. Remarque, toi, avec ton métier, tu pourrais rester un jour de plus, mais pour les enfants et Monique, ça ne sera pas possible. Sauf si tu prends le tr…

- Je me fous de ton pote Flo ! Je me fous de tout ce que tu as à me dire ! Où est le putain de  matos de canoë que tu nous as fait acheter ?

- Ooooooooh ! Cool le beauf ! Tu devrais venir faire un peu de pétanque pour te dét…

- Je me détendrais quand je voudrais ! Ils sont où ces putain de canoës ?

- Mais justement… chez Flo !  Bougre d’âne ! Je lui ai prêté, et comme il était là jusqu’à hier, il devait venir te voir et te les redonner.

- Donc là, c’est foutu pour ce matin, c’est ça ?

- Ben s’il est parti, oui, c’est possible. Mais si tu étais arrivé comme t’avais dit à Fabienne, ça aurait été. Je l’appelle et je te le redis.

Dimanche 7 juin 2009, 10h44 : Allô ? Phil ? Oui, j’ai eu Flo au téléphone. Comme il ne t’a pas vu arriver, il s’est dit que t’avais annulé et a gardé les canoës dans son garage. Il ne revient pas avant les grandes vacances alors c’est… Allo ? Phil ? Phil ?

Dimanche 7 juin 2009, 10h45 : Tu veux allez en louer ?  

Monique s’était dit que ça pouvait être une bonne solution pour ne pas tout annuler. Phil refusa en prétextant qu’ils avaient tout de même déboursé suffisamment d’argent dans le matériel acheté par Jim pour ne pas avoir à louer des canoës quand ils voulaient en faire. Phil expliqua à son fils la situation et celui-ci le prit étrangement bien. Il n’avait sûrement mis moins d’espoir que son père dans cette activité qui pouvait être la dernière façon de sauver ce week-end et qui aurait mérité tous les tracas subis jusque là.

            Il s’assit à table et avala rapidement un croissant avec son café. Les enfants finissaient de se brosser les dents et réclamaient déjà d’aller à la plage. Enzo se moqua de sa sœur qui ne pourrait pas se baigner à cause de son plâtre, et la jeune fille vexée, partit pleurer dans son lit. Monique alla la consoler, puis punit Enzo qui dut s’excuser de sa méchanceté ; un sac plastique fut prévu pour protéger la résine du sable et pour qu’elle puisse tout de même se tremper les pieds. Phil les aida ensuite à s’habiller pendant que Monique se changeait. Une fois prête, cette dernière aida les enfants à sortir leurs jeux de plage alors que Phil enfilait son maillot de bain. Lorsque tout le monde fut habillé et équipé, Virgile fut mis en laisse et la petite famille partit à pied en direction de la plage du lac.

Dimanche 7 juin 2009, 11h20 : Chérie, tu crois qu’on est maudit ?

A l’entrée de la plage, un panneau indiquait que les amis à quatre pattes n’étaient plus acceptés sur les plages de la commune entre le 1er juin et le 31 septembre. Phil s’énerva :

- Donc il y a une semaine, on pouvait venir avec le chien, et maintenant, on ne peut plus ! C’est nouveau ça ?!

- L’été dernier, nous n’avions pas encore été à la SPA chercher le chien, chéri… Et lors de notre dernière visite, en novembre, nous n’avons pas été à la plage. C’est le genre de panneau qu’on ne remarque que lorsqu’on a un chien ou que l’on s’appuie dessus.

Phil décida de faire fi de cette indication et de laisser Virgile accroché à leur parasol, mais un agent de la ville vint lui rappeler le règlement et l’invita à sortir le chien de la plage.

- Bon, ben je le ramène.

- Tu veux que je le fasse ? proposa Monique.  

- Non, ça me calmera de marcher.

            En refaisant le chemin en sens inverse, Phil n’eut de cesse de râler sur les moindres petites choses : des enfants qui criaient un peu trop fort, des automobilistes mal garés, son chien qui faisait une crotte par terre, l’obligeant ainsi à la ramasser, les autres propriétaires qui laissaient les excréments de leurs chiens traîner sur le trottoir, et même ces autres familles qui marchaient en souriant, transpirant le bonheur et la sérénité.

Dimanche 7 juin 2009, 11h50 : Phil, reste là avec Alya, j’emmène Enzo aux toilettes.

Phil gronda son fils de ne pas avoir fait avant de partir à la plage, mais accepta la proposition de profiter un peu du soleil avec plaisir. Il s’allongea sur la paillasse que sa femme avait déroulé au sol, sa fille se débrouillant comme elle pouvait pour faire un château de sable à une main.

Dimanche 7 juin 2009, 11h52 : Pioutch !

Phil ne s’énerva même pas. Avec une étrange impassibilité, il avança jusqu’au lac, entra dans l’eau fraîche, nettoya la fiente d’oiseau sur son ventre et repartit s’allonger auprès de sa fille en espérant avoir quelques instants supplémentaires de répit.

Dimanche 7 juin 2009, 12h01 : Mon Papaaaaaa !

 Ce cri fut suivi d’un poids sur le ventre de Phil. C’était Enzo qui revenait des toilettes et qui, apparemment, ne demandait qu’à jouer avec son père. L’heure qui suivit fut l’ovni dans ce week-end malchanceux : Alya n’avait pas construit un château, mais une véritable cuisine, et elle s’affairait, avec sa mère, à préparer différents menus et à les déguster ; Enzo et son père jouèrent ensemble dans l’eau, puis firent des parties de foot et de raquettes.

Dimanche 7 juin 2009, 13h01 : Papa ! J’ai faim !

Dimanche 7 juin 2009, 13h09 : AAAAAAAAAAAAÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏE !

Enzo avait couru vers le snack, au bord de la plage et s’était fait renversé par un garçon, plus âgé que lui, qui était arrivé à vive allure sur son vélo. Ses parents n’avaient pas vu la scène, récupérant les affaires sur la plage, mais accoururent en entendant le jeune garçon pleurer. Phil chercha son portable dans la poche de son pantalon, prêt à appeler les secours.

Dimanche 7 juin 2009, 13h10 : Mais quel imbécile ce gamin !

C’étaient les mots du père du jeune garçon en vélo. Il prétextait qu’Enzo s’était quasiment jeté sous les roues de son fils alors que celui-ci arrivait à la plage. 

- C’est de mon fils que tu parles ?!

- Oui, mais je suppose qu’au niveau imbécilité, il a de qui tenir.

- Répète !

- Imbécile ET sourd. Intéressant.

- Peut-être imbécile, peut-être sourd, mais sûrement pas manchot ! Et Phil accompagna sa réplique d’un coup de poing dans la mâchoire du quinquagénaire.

Dimanche 7 juin 2009, 13h16 : Ola ! Messieurs ! On se calme !

            L’autre père de famille était assez baraqué, mais ne semblait pas savoir se servir de ses poings, et Phil sut tourner la bagarre à son avantage. Quelques passants, un peu plus réactif que les badauds qui regardaient sans rien faire, et que les deux fils qui encourageaient leurs pères respectifs, séparèrent les deux hommes au moment où un agent de police intervint.

            Il demanda un bref compte-rendu de la situation, que les deux mères de familles s’empressèrent de réaliser, en essayant de rejeter la faute sur le mari de l’autre. L’autre femme, perdant son sang froid face aux accusations réalistes de Monique, gifla cette dernière, qui lui rendit un coup de pied dans le tibia. L’agent parut hésiter un instant devant la façon dont tournait la situation, puis donna un gros coup de sifflet. Le bruit arrêta tout le monde et il les menaça d’arrestation s’ils n’étaient pas capables de faire un effort pour se comporter en adultes. Il raccompagna les Pyrhum jusqu'à leur maison, afin de s’assurer que la bagarre ne continue pas après son départ.

Dimanche 7 juin 2009, 13h56 : Ouille ! Ca pique !  

            Enzo avait le genou écorché, ainsi que les mains. Il devait donc maintenant supporter la désinfection des plaies par sa mère. Pendant ce temps,  Alya aidait comme elle pouvait son père à préparer le déjeuner. Ce dernier était encore sous le coup de l’énervement contre l’autre glandu, incapable de voir que son fils était un danger public et de reconnaître ses erreurs. Il préparait l’omelette préférée de sa fille et trouvait parfait pour se défouler de devoir battre les œufs.

Dimanche 7 juin 2009, 14h21 : Bon… On rentre ? 

            Ils avaient prévu un repas sur la terrasse, mais un des voisins avait eu la bonne idée de faire un barbecue au fond de son jardin, c'est-à-dire, juste à côté de leur terrasse. Comme il utilisait un allume-feu pour brûler du bois humide, et que le vent n’était pas en leur faveur, une fumée nauséabonde avait envahi la terrasse et le déjeuner fut pris dans la salle à manger.

Dimanche 7 juin 2009, 15h12 : Bon… On rentre ? 

            Phil et Monique n’avait plus rien à espérer de ce week-end catastrophique, à part peut-être une autre blessure, ou alors une nouvelle fugue de leur chien. Ils annoncèrent leur décision aux enfants qui suivirent le pas, un peu usés eux aussi par leurs blessures du week-end et les tracas rencontrés. Tout le monde rassembla ses affaires assez vite et Alya ne quitta pas Grouby, même pour passer une dernière fois aux toilettes. Un peu avant quatre heures, ils étaient tous prêts à partir.

Dimanche 7 juin 2009, 15h56 : On va toucher l’eau une dernière fois papa ?

C’était un rituel auquel ils n’avaient jamais failli : aller toucher l’eau une dernière fois avant de partir. Le week-end avait certes été une catastrophe, mais Phil savait que ça ferait plaisir à son fils et à sa femme ; c’est Monique qui avait instauré cette habitude, car elle-même, lorsqu’elle était petite, ne quittait jamais une mer, un lac ou un océan, sans être allé lui dire au revoir. Ils n’en étaient pas à ça près. Il gara donc le monospace sur le parking de la plage du lac et tout le monde, sauf Virgile, descendit pour tremper le bout de leurs doigts dans l’eau. Ils restèrent ensuite quelques instants à regarder le paysage et Phil ressentit une immense déception de ne pas avoir pu vivre un week-end un peu plus reposant.   

Dimanche 7 juin 2009, 16h07 : Mais qu’est-ce qu’il fait ce gosse ? 

            En remontant vers la voiture, ils aperçurent quelqu’un qui s’affairait derrière le coffre de leur voiture. Phil s’approcha et se racla la gorge bruyamment. Le garçon releva la tête et Phil découvrit le fils qui avait renversé Enzo un peu plus tôt. Son sang ne fit qu’un tour et il bondit alors que l’ado commençait à partir. S’en suivit une course poursuite piétonne d’une dizaine de minutes, au terme de laquelle le jeune parvint à s’échapper sur le scooter d’un ami qui devait sûrement l’attendre. Phil revint bredouille et très énervé auprès de sa famille. Il constata les dégâts – une inscription inachevée, « GROS C » suivait sa plaque d’immatriculation arrière. Il rejeta une partie de sa colère sur Virgile qui n’avait « même pas été foutu de faire le chien de garde ». Il partit vers le poste de sauveteurs pour leurs demander s’ils savaient quoi faire et s’ils connaissaient l’identité du garçon. Malheureusement, avant ce week-end, ils ne l’avaient jamais vu.

Dimanche 7 juin 2009, 16h43 : Bon, on part là ou je sens que je vais faire une connerie !  

            Ils montèrent en voiture et repartirent en direction de Barran, espérant que le trajet retour serait plus rapide que celui de l’aller.

Dimanche 7 juin 2009, 20h04 : Je douche les enfants pendant que tu leur prépares le dîner ?

La route n’avait pas été très bonne ; entre de grosses pluies soudaines, quelques ralentissements, une pause toilettes et une pause goûter, il leur fallut plus de trois heures pour rejoindre leur domicile. Les enfants étaient nerveux, plein d’énergie et de frustration, et furent insupportables : la salle de bain vécut une nouvelle inondation, et ce fut toute une aventure pour leur faire avaler un poisson pané et du riz. Il fallut négocier avec l’histoire du soir pour avoir un peu de calme au moment du coucher, avant une extinction des feux vers vingt-et-une heures trente.

Dimanche 7 juin 2009, 21h35 : On range, on va se coucher, et on oublie pour toujours ce week-end.

Phil et Monique finirent de vider le coffre de la voiture, de ranger les affaires, et de faire disparaître toute trace d’une potentielle excursion à Hossegor. Après avoir éteint la lumière, avant de sombrer dans le sommeil, Monique déclara à son mari : Tu penseras bien à dire merci à ton monsieur Michot pour le week-end de merde qu’on a eu par sa faute. 

Lundi 8 juin 2009, 15h15 : Tu vas rentrer satanée vis de merde !

Phil avait passé sa matinée à courir dans les différents magasins de bricolage après un nouveau meuble de salle de bain, un embout pour l’arrivée d’eau et un nouveau parquet pour remplacer celui du couloir qui commençait à gondoler. Il avait trouvé un meuble aux mêmes dimensions que l’ancien, un embout que le vendeur disait très résistant et un parquet qui irait parfaitement dans le couloir.

Après un rapide déjeuner, il s’était attaqué au démontage du meuble inondé et était en train d’assembler les pièces du nouveau. Alors qu’il s’échinait à visser une vis qui, manifestement, ne voulait pas l’être, il repensa à ce que lui avait dit Monique la veille au soir et se prit à imaginer ce qui se serait passé ce week-end, s’il avait dit à monsieur Michot qu’il ne pouvait pas le voir….

Justement cher lecteur… Voyons ce qui se serait passé.

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Vendredi 5 juin 2009, 17h21 : Bonjour monsieur Pyrhum, excusez-moi de vous déranger, mais j’aimerais vous voir si vous avez cinq minutes.

Mme Briglet interpela le banquier, en lui indiquant que sa femme était au téléphone. Phil s’excusa auprès de Monsieur Michot et prit le combiné.

- Allo, Phil ?

- Oui chérie, qu’y a-t-il ?

- En passant à l’école, n’oublie pas de déposer le chèque de cantine des enfants dans la boîte aux lettres de la mairie. C’est soixante-treize euros quarante-cinq centimes, au nom du Trésor Public.

- D’accord. Euh… Monique… Son regard se posa sur monsieur Michot. Il hésita.

Vendredi 5 juin 2009, 17h22 : oui ?

- Non… rien. Et il tendit le téléphone à madame Briglet pour qu’elle le raccroche.

            Il ferma son visage et revint vers monsieur Michot qui attendait sa réponse.

- Je suis désolé monsieur Michot. Je ne vais pas pouvoir vous recevoir ce soir, je dois conduire mon fils chez le dentiste, il a une carie qui doit être absolument soignée. J’aurais bien demandé à ma femme, mais elle est avec sa mère à l’hôpital.

- Ah, d’accord. Parce qu’en fait, c’est l’anniversaire de ma fille ce week-end, et comme je suis déjà…

- Voyez ça avec madame Briglet, elle va tout arranger. Il sourit, lui serra la main en adoptant le visage de celui qui croit en ce qu’il dit et qui a confiance en l’avenir, et sortit par la porte qu’un client venait d’ouvrir.

Il savait pertinemment que madame Briglet ne pourrait pas arranger la situation : elle ne pouvait pas mettre en place des reports d’échéance, ou une autorisation exceptionnelle de découvert. Les aides ponctuelles de sa famille et les ménages que faisaient sa femme ne suffisaient pas. Mais bon, comme lui avait souvent répété le chef de la première agence où il avait exercé, « Il y a tout de même une vie à côté de la banque », et il l’avait toujours encouragé à ne pas se laisser envahir par les problèmes de ses clients. Il franchit le sas, et partit vers sa voiture.

Il revint vers Barran, récupéra ses enfants à l’école, n’oublia pas de faire le chèque pour la cantine et rentra à la maison. Il était dix-huit heures. Sa femme arriva vingt minutes plus tard. Vers dix-neuf heures, les enfants étaient douchés, avaient commencé à manger et Monique avait fini les sacs d’habits. Alors qu’elle s’occupa de la préparation du sac de nourriture, Phil partit charger le monospace. Plusieurs sacs dans les bras, il se rendit compte qu’il n’avait pas les clés de la voiture et les chercha dans le sac de sa femme. Cela lui fit penser aux clés de la maison d’Hossegor qu’il mit tout de suite dans sa sacoche. Phil demanda à son fils de vérifier à l’étage qu’ils n’avaient rien oublié, pendant que sa petite sœur passait une dernière fois aux toilettes et s’installait dans la voiture. Après avoir redescendu le Grouby de sa sœur, il passa lui aussi aux toilettes et se dirigea vers la voiture en tenant Virgile par le collier. Monique fut la dernière à passer aux toilettes et ferma le robinet d’arrivée d’eau après que la chasse d’eau se fut remplie. A vingt heures deux, Phil démarra la voiture et la famille Pyrhum partit pour Hossegor.

            Il leur fallut s’arrêter une fois à Grenade sur l’Adour pour faire passer les enfants aux toilettes. Enzo demanda si Virgile ne voulait pas passer lui aussi aux toilettes mais son père lui répondit que ce chien était très fort et qu’il pouvait se retenir de faire pipi pendant très longtemps. Phil n’avait en fait pas envie de trop traîner et voulait arriver le plus vite possible.

            A vingt-trois heures six, ils arrivèrent à la maison d’Hossegor. Monique coucha les enfants pendant que Phil vidait la voiture et rangeait leurs affaires : le week-end pouvait enfin commencer.

            Le lendemain, Phil se leva de bonne heure et descendit avec le chien jusqu’à la boulangerie pour acheter le traditionnel petit déjeuner d’Hossegor. Au moment de payer, il se rendit compte qu’il n’avait pas de monnaie mais en tira à la banque qui était juste à côté. Il acheta des croissants, des pains au chocolat et deux baguettes. Les gros petits déjeuners d’Hossegor étaient une tradition à laquelle il ne faisait jamais défaut et qu’il appréciait particulièrement. Il revint vers la maison, en marchant tranquillement, sous le beau soleil de juin.

            Soudain, Virgile vit un autre chien de l’autre côté de la route et tira fortement sur sa laisse. Sous le coup de la surprise, Phil fut emporté après lui. Une voiture qui roulait trop vite passa à cet instant et renversa Phil. Il fut transporté en urgence à l’hôpital d’Hossegor où le médecin constata une rupture de la moelle épinière. Phil devint tétraplégique.

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Alors, mardi matin, lorsque Phil répondit au « Alors, ce week-end ? » de Mme Briglet par un simple « désastreux », il ne savait pas que, malgré les apparences, ça aurait pu être bien pire.

 

FIN

 

 

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