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La chasse est ouverte

 

Par Thomas Burnet

 

 

« Quelque part, quelque chose d’incroyable attend d’être connu.» Carl Sagan

           

 

            - Papa ! Paaaaaaaaaaapaaaaaaaaaaaaaaaa ! Viens voir ce qu’on a trouvé !

- Les enfants, on n’a pas vraiment le temps là. Nous devons partir.

- Oh non ! Mais attends, viens voir, c’est trop bien ! 

- Je t’ai dit non, Paul ! Je ne veux pas tomber dans les embouteillages du retour, on doit partir maintenant !

- Ben on peut prendre avec nous ce qu’on a trouvé alors ?

- Qu’est-ce que vous avez trouvé ?

- Un coffre de trésor.

- Comment savez-vous qu’il contient un trésor ?

- Mathieu a dit qu’il en avait vu un comme ça à la télé.

- Il ne faut pas croire tout ce que ton grand frère raconte.

- Alors, on peut le remonter et le prendre avec nous ?

- Non, on ne va pas ramasser toutes les poubelles qui traînent dans les forêts sous prétexte que ton frère y voit un trésor. Allez ! Les bêtises sont finies. Venez maintenant, nous avons beaucoup de route à faire.

 

            Patrick ferma le coffre alors que ses garçons remontaient, penauds, vers la voiture. Les deux semaines de vacances à Notre-Dame des Monts, en Vendée, s’achevaient pour la famille Garot qui rentrait en région parisienne. Les garçons s’installèrent, Paul semblait si triste que sa mère interrogea Patrick du regard. Celui-ci lui montra l’heure sur le tableau de bord et mima un non ferme et définitif. Il boucla sa ceinture et commença un trajet qui promettait d’être long.

 

            Cédric sortit de sa voiture et regarda le monospace s’éloigner. Le jeune homme s’était mis à écouter la conversation entre le père et son fils au moment où ce dernier avait parlé d’un coffre au trésor. Ca l’avait immédiatement ramené quelques années en arrière lorsqu’il passait des soirées entières avec ses grands-parents à sillonner la plage de Notre-Dame dans l’espoir de trouver quelque chose ayant une quelconque valeur. Le plus souvent, ils avaient trouvé des clés ou des briquets. Mais une fois, ils étaient tombés sur un coffre, un vrai. Il était abîmé et complètement trempé, mais c’était un vrai coffre de trésor, comme dans les aventures des Goonies. Son grand-père avait fait basculer le crochet et soulevé le couvercle. Mais au fond du coffre, ils n’avaient trouvé que des vieux coquillages et des algues visqueuses. Il se dit qu’avec un peu de chance, il trouverait peut-être quelque chose d’intéressant dans celui-ci. Il prit son sac à dos et partit dans la forêt de pins, d’où étaient revenus les deux garçons. Il chercha partout, au pied de chaque arbre, au milieu de toutes les hautes herbes avant de trouver, caché par des poignées d’herbes arrachées, à moitié enterré, un coffre. Le coffret plutôt. Un coffret de bois, d’une trentaine de centimètres de hauteur, qu’il dégagea. C’était un coffret magnifique, dans un bois dont il ignorait le nom, mais dont il aimait beaucoup la couleur dorée. A chaque coin, il y avait une pièce de métal, et elles avaient toutes subies l’épreuve du temps. Cédric se demanda depuis combien de temps ce coffret dormait au pied des pins. Il se cacha derrière un groupe d’arbres et, sans plus attendre, fit basculer le crochet de fer pour soulever le couvercle. Il fut très étonné de trouver un second coffret, parfaitement emboîté dans le premier, qu’il dégagea. Ce second coffret ressemblait en tous points au premier, si ce n’est sa taille réduite et une magnifique gravure sur le couvercle. Elle représentait une fleur, creusée sur le dessus du coffret. Il y avait aussi une difficulté supplémentaire à l’ouverture de ce coffret : une serrure spéciale, fermée par un cadenas numérique à trois chiffres. « Une énigme ! Génial ! » Ce coffret remplissait toutes les attentes du jeune homme qui revivait un vieux rêve d’enfant. Le cadenas indiquait le nombre 747. Machinalement, le jeune aventurier tira sur le cadenas, mais celui-ci ne s’ouvrit pas. Il aurait été presque déçu que ce soit si facile. Il inspecta le petit coffret de tous les côtés pour voir si le pirate avait laissé une indication pour l’ouverture. Mais, à part la gravure sur le dessus, il ne vit aucun indice. Il reprit le premier coffret et l’inspecta plus attentivement. Il le retourna et découvrit une inscription sur le dessous, surmontée d’une petite fleur gravée. Il y avait une question : « Serez-vous suffisamment curieux ? ». « Tu m’étonnes que je suis suffisamment curieux ! » Le jeune homme prit cette question comme un défi et se mit à compter le nombre de lettres que comportait cette question pour voir cela pouvait ouvrir le cadenas. Vingt-huit. Il reprit le petit coffret et essaya cette solution. Rien. Il se dit qu’il fallait peut-être compter la ponctuation et essaya trente. Echec. Sans se démonter, il se mit à faire défiler, patiemment, les nombres, en avançant de un en un. Il venait de passer à quarante-neuf lorsque le cadenas se débloqua. Il lança un « Yes » victorieux avant d’enlever complètement le cadenas et de soulever le couvercle.

 

- Et alors ?

- Et alors quoi ?

- Et alors, qu’est-ce qu’il contient le deuxième coffre ?

- Ben je ne l’ai pas encore ouvert.

- Et qu’est-ce que tu attends ?

           

Lucie se sentait soulagée d’avoir parlé à ses amis. Ils étaient toujours arrêtés sur le parking d’une aire d’autoroute, quelque part en Isère. Elle sortit le coffret de son sac à dos, dégagea complètement le cadenas et souleva le couvercle. Observée par ses amis, Lucie sortit du coffret ce qui ressemblait à un petit livre en bois. Quand Lucie voulut l’ouvrir pour le feuilleter, elle constata avec dépit que cet objet était une boite, et que celle-ci refusait de s’ouvrir. Elle eut beau tirer dans tous les sens, mais elle restait désespérément close. Le livre passa de main en main, mais personne ne parvint à l’ouvrir. Le mécanisme de fermeture devait être costaud. Lucie demanda à ce qu’on ne tire pas trop fort pour éviter de casser la boite. Si le couvercle du second coffret avait une belle gravure sur le dessus, le livre-boite, lui, était un émerveillement : sa couverture faisait penser à celles des voyages extraordinaires de Jules Verne ; mêmes couleurs, mêmes détails foisonnants, mis à part que tout était, ici, gravé dans le bois. Mary était train de détailler cette couverture lorsque Lucie revint au second coffret. Sur le fond de la boite, elle trouva une nouvelle inscription, elle aussi gravée dans le bois.

- Dis donc, ce gars, c’est un maniaque du pyrograveur ! s’exclama Marc.

- Je ne pense pas, rectifia Lucie, il a du tout sculpter à la main. C’est un travail trop minutieux ! C’est merveilleux.

- Bon, s’impatienta Clarisse, elle dit quoi cette meeeeeeerveilleuse inscription ?

- Elle dit : Bravo ! Si vous avez été suffisamment curieux pour ouvrir ces coffrets et trouver ce message, vous le serez aussi pour la suite ! L’aventure peut maintenant commencer. Ensuite, il y a des chiffres : 48, 51, 30, 2, 17, 40, 23, 11, 2009.

- Ok… conclut Alexandra. On n’est pas plus avancés.

- Si, réfléchis ! répondit Marc. 2009, il y a de grandes chances pour que ce soit une année, et ça tombe bien, c’est cette année !

- Dans ce cas-là, continua Mary, on peut imaginer que 23 et 11 sont les compléments de la date. Donc, le 23 novembre de cette année, il va se passer quelque chose.

- Mais quoi ? demanda Clarisse.

- Et où ? Compléta Lucie. En tout cas, celui qui a fabriqué et gravé ces coffrets aime bien les énigmes.

Il y eut un silence dans la voiture

- En attendant, reprit Mary, qui veut conduire ?

 

 

 

 

       Cédric ne comprenait pas grand-chose aux inscriptions qu’il avait découvertes à l’intérieur du second coffret. Il avait été subjugué par la beauté du troisième coffret, mais avait du mal à résister à l’envie de le briser pour voir s’il y avait vraiment un trésor à découvrir à l’intérieur. Il le retourna dans tous les sens, sans trouver un seul mécanisme d’ouverture, comme si cette boite ne devait pas s’ouvrir. Mais il était persuadé du contraire. Pour poursuivre l’aventure, il devait trouver le moyen d’ouvrir ce livre. Il revint à l’inscription et se dit qu’il y avait sûrement un indice caché permettant l’ouverture. Serait-il suffisamment malin pour trouver ?

        

         Il rangea les coffrets les uns dans les autres et revint au trou où il les avait trouvés. L’indice était peut-être là caché dans le sable. Il se mit à le retourner avec grand mal. C’était un sable fin, et le trou qu’il creusait s’effondrait à chaque fois qu’il le vidait. Après cinq minutes à creuser en vain, il s’arrêta. Rien. Il fallait travailler les chiffres, mais il ne savait même pas par où les prendre, et ne savait pas vraiment ce qu’il cherchait. Il prit le grand coffret et se mit en route vers la maison de ses grands-parents.

 

         Il avait réussi à réserver cette petite maison pour une durée record de deux semaines, fin juillet. C’était assez exceptionnel étant donné que, d’habitude, ses frères arrivaient toujours à s’y prendre avant lui, et si ce n’était pas le cas, faisaient jouer le fait que lui était célibataire et sans enfants et qu’il pouvait donc se permettre de prendre une location. Il lui avait fallu aussi prendre de court ses cousins qui, du fait de la proximité géographique, considéraient cette maison de vacances comme leur annexe de week-end. Il était donc heureux de profiter de cette maison, seul, sans cris de nourrissons au milieu de la nuit et sans morceau de Death Métal au réveil. A la fin de la semaine, il passerait le relais à Sébastien, l’aîné de la famille, qui allait envahir la demeure avec ses trois enfants. Il lui restait quatre jours de calme, quatre jours pour profiter de la mer, de la plage, et du silence de ce village de Vendée.

         Il entra dans la cuisine, posa le grand coffret sur la grande table en bois massif et sortit une canette de soda du frigo. Il s’assit sur un des deux grands bancs, but une gorgée et regarda le coffret. Il lui fallait de quoi noter. Il trouva un bloc-notes et un critérium sous la table du téléphone et revint dans la cuisine. Il lista les numéros sur le calepin et les regarda avec dépit. Il avait bien pensé que les derniers nombres indiquaient une date : le 23 novembre 2009 ; soit un peu moins de quatre mois plus tard. Il ne savait absolument par quel bout prendre les autres nombres de cette énigme : fallait-il réaliser des opérations avec ces nombres ? Indiquaient-ils une phrase ? Fallait-il les jouer au loto le 23 novembre ?

         Il regardait sa feuille, perdu dans ses pensées. Il se souvint de sa belle-sœur qui avait eu un livre sur les énigmes pour Noël, deux ans auparavant. Il se rappela que, souvent, il cherchait des réponses aux étranges énigmes, mais lorsqu’il trouvait la solution, il le savait. Il se dit que la bonne réponse à cette énigme numérique lui sauterait aux yeux lorsqu’il la trouverait. Il passa encore une demi-heure à retourner les chiffres dans tous les sens, sans trouver de réponse éclairante et logique. Au final, il se rappela la voix de son grand-père, assis dans son rocking-chair, devant la cheminée, quand il s’affairait, dans sa jeunesse, devant les énigmes de Mickey Magazine : « Cédric, fais donc une pause. C’est souvent quand on arrête de chercher qu’on trouve ». Il prit ce conseil au pied de la lettre et partit se promener un peu sur la plage. Le soir même, il eut une bonne occasion de continuer de suivre le conseil de son grand-père : il avait rencontré une fille sur la plage, deux jours avant, qui l’avait convié à un concert qu’elle donnait, avec son groupe, dans un bar de Saint-Jean de Monts, à quelques kilomètres de là. Son groupe s’appelait Hormonal Explosion et les quatre filles qui le composaient habitaient Villeurbanne. Le nom d’Explosion était plutôt bien choisi pour ce groupe qui jouait un punk-rock puissant et efficace. Carmen y tenait la place de bassiste ; sur scène, elle était en retrait par rapport à la chanteuse, mais semblait complètement absorbée par la musique qu’elle jouait. Cédric apprécia beaucoup le concert, mais beaucoup plus le pot qu’il prit avec Carmen un peu plus tard dans la soirée. Il rentra dormir seul, mais devait revoir la jeune femme le samedi midi, juste avant de repartir pour Lyon. Son vendredi fut occupé par le nettoyage de la maison pour l’arrivée de son frère, de sa belle-sœur et de ses trois neveux. La famille arriva en milieu d’après-midi et Cédric profita de la plage avec les fils de Florian, pendant que ce dernier s’installait avec sa femme Sonia. Les deux frères préparèrent à l’apéritif comme au temps de leur enfance, avant de passer derrière le barbecue. Florian avait un peu perdu la main, et Sonia filma la séquence d’allumage du feu, qui promettait d’être rediffusée en boucle au prochain Noël. Une fois les garçons couchés, les adultes se retrouvèrent dans le salon. Florian tomba sur le bloc-notes où son frère avait noté les numéros trouvés sur le coffret.

- Tu joues aux chiffres et aux lettres maintenant ?

Cédric se dit qu’il avait bien besoin d’aide pour trouver la mystérieuse signification de cette série de nombres, et raconta toute l’histoire.

 

 

 

 

         De retour dans son appartement de Lille, Lucie partagea son temps entre son travail d’aide-soignante, son idylle naissante avec Marc et la recherche de la signification des nombres du coffret. Si les deux premières se passaient plutôt bien, sa troisième occupation se révélait infructueuse. Elle avait bien essayé de forcer la boite-livre pour avoir plus d’indices, mais en vain : le bois n’était qu’une façade qui, une fois démontée, laissait place à un coffret en métal. Il était fait de deux pièces de métal jointes, sans serrure, sans charnière, mais ne paraissaient pas soudées. Il devait y avoir un dispositif interne, bloquant l’ouverture. Sans l’inscription à l’intérieur du second coffret, Lucie aurait peut-être abandonné, mais elle savait qu’en cherchant, elle finirait par trouver. Vendredi 31 juillet, avec Marc, elle retrouva Mary, Clarisse, Alexandra, ses nausées, et Julien dans l’appartement des futurs parents pour une soirée fajitas. Elle avait bien entendu apporté avec elle ses deux coffrets, car les amis s’étaient pris au jeu de la chasse au trésor et voulaient savoir ce qu’il y avait de si important à trouver. Julien avait été mis au parfum, six cerveaux valant mieux que cinq.

        

 

 

         - Et s’il fallait dire les nombres près du coffret ? proposa Julien.

        

- Non, j’ai déjà essayé cette solution, répondit Cédric. 

        

- Pour ce qui est des opérations ? lui demanda Sonia.  

 

- Ca doit aboutir à plus d’un millier de résultats différents ! objecta Mary.

 

- Je pense que ce n’est pas tant ce qu’on doit faire des nombres, mais ce qu’ils signifient, dit Lucie

 

- Que veux-tu dire ? interrogea Florian.

 

- Je pense que lorsqu’on saura ce que ce groupe de nombres veut dire, on pourra essayer de les tripatouiller si besoin est, répondit Cédric.

 

- Ok, reprit Marc. Nous avons donc neuf nombres.

 

- Six, coupa Sonia. Les trois derniers sont sûrement une date. On va chercher avec six et si on ne trouve pas, on pourra élargir à neuf.

 

- C’est vrai, Clarisse à raison. Partons sur ce que signifient les six nombres. Non. Cherchons d’abord ce qui utilise une suite de nombres ! décida Lucie.

 

         Les nordistes et les vendéens pensèrent chacun aux numéros de compte, aux numéros d’identifiant, aux numéros des cartes bleues ; les montois pensèrent, eux, aux pages d’un livre, aux adresses IP, aux numéros de sécurité sociale, à une suite de nombres que Florian nommait de « Fibromachie » et aux numéros de téléphone, tandis que les lillois évoquèrent les coordonnées GPS, les numéros des cartes d’identité, ceux du loto, les plaques d’immatriculation étrangères, les numéros ISBN et les numéros de série.     Ca faisait de nombreuses possibilités pour une réponse. Mais laquelle ?

 

 

         Cédric avait prévu de repartir pour Lyon en milieu d’après-midi, après avoir revu Carmen à Saint-Jean de Monts. Il se leva un peu plus tôt que prévu, fini de remballer ses affaires et partit vers la station balnéaire un peu après onze heures, afin de vérifier à la bibliothèque municipale quelques pistes évoquées la veille. Il découvrit que, non seulement la suite de nombres dont son frère parlait ne s’appelait pas Fibromachie, mais Fibonacci, mais aussi qu’hormis le 2, aucuns des nombres présents dans l’énigme ne faisaient partie de cette suite. Il ne trouva aucun site web dont l’adresse correspondrait à son énigme et les bibliothécaires ne reconnaissaient pas le livre à partir duquel était copiée la couverture.

         Il raya sur la feuille qu'il avait prise avec lui les options abandonnées et se dit qu'il faudrait tester la connaissance des bibliothécaires lyonnais concernant le livre dont la couverture avait été copiée. Il retrouva Carmen à la Paillote où ils déjeunèrent sans laisser un seul blanc s'immiscer dans la conversation. Alors que Cédric opta pour une salade paysanne, Carmen dégusta des moules à la crème. La jeune femme restait encore une semaine à Saint-Jean, avec un concert par soir, dans les différents bars de la ville et des environs.  Ensuite, elle partait en Bretagne, à Brest, où un ami leur avait trouvé plusieurs lieux de représentation. Elle devait revenir à Villeurbanne un peu après le 20 août et proposa au jeune homme de se revoir sur Lyon fin août. Elle lui demanda un papier pour qu'elle puisse lui laisser son numéro de portable. Le jeune homme prit dans sa poche le premier papier qu'il lui vint et le lui donna. Elle écrivit et le lui rendit en précisant : je t’ai donné mon adresse aussi. En regardant ce que la jeune femme avait écrit, il fut surpris de ne trouver que des nombres.

- Je n’ai pas dit que ce serait facile de me trouver… Quoique… Il te suffit d’entrer ces coordonnées dans un GPS et tu pourras trouver le lieu où j’habite.

         Le garçon sourit devant cette originalité, puis fronça les sourcils : cette suite de nombres lui rappelait quelque chose. Soudain, son regard s’éclaira.

 

        

         Devant l’étendue des possibilités, les lillois avaient fait un choix et avaient vérifié ce qui était alors vérifiable sur internet : chercher si un ISBN pouvait comporter cette suite de nombres et trouver les plaques d’immatriculation qui n’utilisaient que des chiffres. Marc et Mary creusèrent chacun sur un ordinateur différent ces deux pistes, mais sans trouver de résultat probant. Pour l’ISBN, le 2 indiquait un livre français, mais le problème était que si les nombres étaient mélangés, le nombre d’ouvrages possible devenait trop important. De plus, les numéros d’ISBN comptaient soient dix, soit treize chiffres, ce qui laissait de côté certains chiffres de l’énigme, sans logique. Pour les plaques, hormis d’Algérie, qui n’avait que dix chiffres maximum sur ses plaques, ils ne trouvèrent aucune plaque qui n’utilisait pas de lettres. Sauf s’il faut convertir des nombres en lettres, proposa Julien. Ils passèrent une heure à essayer de tourner les nombres, à les convertir pour obtenir quelque chose de valable, avant d’abandonner, Alexandra et Lucie les appelant à table. Après s’être rempli l’estomac, Lucie proposa qu’ils se penchent sur la possibilité des coordonnées GPS. Clarisse et Marc avaient oublié le leur, mais Alexandra utilisa le logiciel Google Earth, installé par son petit frère sur son ordinateur, alors que les autres débarrassaient la table et remplissaient le lave-vaisselle. Au bout de quelques secondes, elle poussa un cri :

 

         La Tour Eiffel !

 

         C’était bien trop significatif pour ce soit autre chose. Alexandra expliqua comment elle avait ordonné les nombres pour trouver : si on considérait l’énigme comme des coordonnées GPS, il fallait deux séries de trois nombres. Elle était partie du principe que les trois derniers chiffres étaient une date et s’était concentrée sur les six premiers. Ce qui donnait 48°51’30’’ et 2°17’40’’, soit les coordonnées indiquant la Tour Eiffel. Ayant l’impression d’avoir déchiffré une énigme de grec ancien, les amis s’applaudirent et trinquèrent à leur trouvaille.

         Mais à la joie d’avoir découvert le sens de l’énigme succéda à nouveau le questionnement : quoi la Tour Eiffel ? Oui, ils avaient trouvé, mais c’était un des endroits où ils étaient à peu près sûrs de ne pas trouver de trésor car, à peine déposé, quelqu’un l’aurait déjà pris ou la police aurait fait sauter le coffre avec le magot.

         Lucie leur rappela la fin de l’énigme, la partie qu’Alexandra avait mise de côté. Il leur fallait se trouver le 23 novembre 2009 à Paris. Il ne restait plus qu’à savoir si c’était au pied de la Tour Eiffel ou à un des trois étages, et à quelle heure. 

 

 

         Carmen et Cédric avaient passé la fin du mois d’août et le mois de septembre à se tourner autour. Au mois d’octobre, ils développèrent leur relation naissante pour envisager au mois de novembre d’habiter ensemble. Cédric avait prévu de gagner Paris pour le 23 novembre et, comme Carmen s’était invitée dans la chasse au trésor en l’aidant à découvrir le lieu indiqué par les coordonnées GPS, il lui avait proposé de l’accompagner. Ils avaient pensé qu’en l’absence d’heure précise, l’invitation valait pour la journée entière et qu’arriver à midi était un bon compromis. Ils réservèrent donc leurs billets d’ascenseur pour treize heures. Ils partirent le samedi 21 novembre, afin de profiter de la capitale pendant le week-end avant de retrouver la dame de fer le lundi. Ils étaient descendus dans une chambre d’hôte du quinzième arrondissement. Les deux tourtereaux partagèrent leur samedi après-midi entre la recherche d’une nouvelle basse pour Carmen au cœur du quartier Pigalle et une ballade un peu plus haut, sur la butte Montmartre. Ils se firent croquer par un jeune dessinateur et finirent la journée dans un restaurant japonais que leur avait conseillé le parisien qui leur louait la chambre. Le dimanche, ils partirent de la place de l’étoile, et descendirent les Champs Elysées pour rejoindre la place de la Concorde. Ils s’arrêtèrent manger au Hard Rock Café avant de finir leur ballade par un tour de grande Roue. Ils se promenèrent dans le jardin des Tuileries et dinèrent dans un restaurant antillais du quinzième arrondissement, toujours sur les conseils de leur hôte parisien. Avoir sympathisé avec ce dernier leur permis de laisser, le lundi matin, leurs sacs de voyage dans un coin de l’appartement. Cela leur permettrait de visiter en toute quiétude la Tour Eiffel, puis de passer reprendre les sacs et la nouvelle basse de Carmen avant de rejoindre la gare de Lyon pour le train de dix-huit heures trente. Ils arrivèrent un peu plus qu’ils ne l’avaient prévu, et c’est vers onze heures quinze que Cédric s’avança sous l’impressionnante réalisation du quai Branly. Il y avait beaucoup de monde, mais Cédric était captivé par ce qu’il voyait. C’était la première fois qu’il se rendait à Paris et donc la première fois qu’il voyait la Tour Eiffel. A ne pas regarder où il allait, il bouscula même une femme enceinte.

 

 

         Le jeune homme s’excusa, et le petit groupe continua à avancer, Alexandra toujours en tête. La future maman avait retrouvé une nouvelle énergie depuis la fin du quatrième mois. Toute cette histoire de coffrets secrets et de chasse au trésor à travers le pays, accompagnée d’une bonne dose d’hormones, la rendait euphorique. Ses amis la suivaient, en rigolant. Les six lillois s’étaient organisés pour prendre une semaine de congés fin novembre, provoquant ainsi l’étonnement de leurs hiérarchies respectives. Depuis samedi midi, ils avaient envahis la maison de l’oncle et de la tante de Julien, à Sèvres, dans l’ouest francilien. Ils n’avaient pas vraiment tiré profit du week-end pour visiter Paris, mais avaient préféré passer du temps entre eux, se promener dans la forêt, jouer avec les trois labradors de la maison et se livrer à un tournoi d’Uno sans merci. Le lundi matin, les amis étaient partis assez tôt pour la Tour Eiffel : ils ne voulaient pas manquer le rendez-vous avec l’organisateur de la chasse aux trésors, Mais surtout avoir le temps de fouiller partout pour trouver l’indice qui leur permettrait sûrement d’ouvrir le petit coffret. Ils avaient réparti leur journée de la façon suivante : le matin : enquête au sol et déjeuner, puis, à treize heures trente, ils prenaient l’ascenseur côté sud pour continuer leur investigation aux étages. Ils avaient réservé leurs billets pour l’ascenseur sur internet, avec le nouveau système mis en place depuis le mois d’octobre. Ils avaient pensé à prendre avec eux les deux coffrets que Lucie avait gardés ; celle-ci avait d’ailleurs eu le temps de regretter de ne pas avoir parlé plus tôt des coffrets à ses amis et d’avoir laissé dans la montagne le premier. Ils sortirent de la bouche de métro vers dix heures et investirent les lieux. Ils commencèrent par chercher au sol un autre coffret, allant jusqu’à fouiller le moindre buisson dans les parcs de chaque côté de la place ou s’approcher des gens qui avaient un comportement un peu étrange. Vers onze heures, ils se retrouvèrent sous la tour pour un point ; tous étaient là, sauf Mary, qui était partie dans le parc de gauche. Cinq minutes plus tard, elle arriva, mais n’avait rien trouvé d’autre qu’un graffiti gravé sur un tronc d’arbre. Elle avait essayé de déchiffrer le message qui n’était qu’une annonce salace. C’est lorsque les amis repartirent chercher vers le Champ de Mars qu’Alexandra fut bousculée par Cédric.

 

         Ils ne trouvèrent rien au sol. Cédric et Carmen n’avaient pas eu le temps de réaliser des investigations aussi poussées que celles des nordistes, mais il était midi quarante-cinq et ils avaient un ascenseur à prendre. Le nouveau système de réservation horaire n’en était encore qu’à ses débuts et il y avait encore une queue importante devant l’ascenseur est. En fouillant dans le sac à dos de Cédric pour vérifier la réservation, Carmen poussa un cri qui fit se retourner plusieurs touristes autour d’elle.

- Le coffret !

- Quoi le coffret ?

- Il est ouvert !

- Le petit ?

- Oui, celui en forme de livre ! Il est ouvert !

         Ils sortirent de la queue et se dirigèrent vers le parc juste à côté de la file d’attente. Ils trouvèrent un banc et Carmen sortit le coffret. Celui-ci s’était débloqué dans le sac, mais le contenu n’en était pas sorti. Ils l’ouvrirent avec précaution et furent surpris de ce qu’ils y trouvèrent : un petit hippopotame sorti d’un œuf kinder, et un calepin à la couverture bleue claire. Cédric ouvrit le calepin qui ne contenait que six pages. Sur la première page, ils découvrirent une nouvelle série de nombres, elle ressemblait à celle qui les avait amenés à Paris, sauf que qu’il y avait deux lettres et que la date était remplacée par une série de trois chiffres. Cédric tourna la page et découvrit une autre série de nombre. Ils furent surpris de voir que celle-ci se finissait par 06.07.2011. Cela signifiait qu’ils ne pourraient se rendre dans cet endroit que dans un an et demi. Ils furent encore plus surpris par les trois dates suivantes. Celles-ci s’échelonnaient entre 2014 et 2021. 2021 ! C’était si loin !

 

         Ce fut au tour de Lucie et de ses amis de découvrir que le coffret s’était ouvert dans le sac alors qu’ils se dirigeaient vers l’ascenseur sud. Même étonnement, même cri de surprise, même mise à l’écart pour une expertise plus poussée. Avant même de regarder le contenu, Marc prit le coffret pour comprendre pourquoi et comment il s’était ouvert. Il découvrit une serrure très fine, sans mécanisme. Sa formation d’informaticien lui permit de penser que c’était une serrure électronique, qui s’ouvrait à distance, sûrement grâce à un portable ou à une télécommande. Les amis scrutèrent les alentours pour voir si quelqu’un les espionnait. Ils étaient assez mal à l’aise de savoir que quelqu’un les avait attendu, les avait sûrement observés, et avait activé le signal d’ouverture du coffret. Mais leur curiosité avait été piquée au vif, et ils avaient envie de savoir le fin mot de cette étrange histoire. Lucie fouilla dans son sac à dos et retrouva le contenu renversé. Elle sortit un calepin jaune poussin et une tortue en plastique, issue d’un œuf surprise. Elle ouvrit le calepin et explora avec ses amis le contenu des six pages, laissant Alexandra s’extasier sur le jouet qui lui rappelait son enfance. Ils s’étonnèrent des chiffres 7.4.5 qui remplaçaient la date sur la première page et de l’apparition des lettres N et O précisées pour les coordonnées GPS. Au fur et à mesure des pages, ils découvrirent des dates, qui les emmenaient de plus en plus loin dans le temps. La troisième page les confronta à une nouvelle énigme : à la place du premier nombre de la longitude, il y avait un astérisque qui renvoyait à une note en bas de page. Cette note disait : « Ce nombre correspond au nombre de pétales de la fleur qui pose une question ». Quand ils arrivèrent à la dernière page, ils découvrirent une autre énigme à résoudre : il y avait six traits, puis une date : 14.10.2031. Il leur faudrait sûrement trouver les coordonnées manquantes, mais ils ignoraient encore comment. En même temps, plaisanta Mary, d’ici 2031, ils auraient le temps ! Marc calcula rapidement qu’il aurait cinquante-deux ans lorsqu’il serait temps de s’occuper de cette dernière énigme.

- Qui peut donc être suffisamment barré pour organiser ça ? pensa Julien à haute voix.

- Un milliardaire qui s’ennuie, proposa Mary.

- Oui, et il va nous faire tourner en bourrique pendant plus de vingt ans pour qu’on ait quoi comme récompense ? Une super collection de tortues Kinder ! S’emporta Clarisse.

- C’est vrai qu’elles sont mignonnes ces tortues, mais on ne va pas pouvoir en faire grand-chose, ajouta Alexandra.

- Bon, ça veut dire qu’on a trouvé ? Tout ça pour ça ? Continua Clarisse. On a fait tout ça pour un pauvre calepin plein de coordonnées GPS, d’énigmes bizarres et de jouets ridicules.

- Calme-toi ma chérie. Mary prit sa compagne par la main. On s’est bien amusés tout de même.

- Et puis la chasse n’est pas finie, renchérit Lucie.

- Ouais. Mais je suis déçue, j’espérais trouver quelque chose. Je ne pensais pas qu’on nous renverrait vers une nouvelle énigme, répondit Clarisse.

- C’est pas grave, grâce à notre amie la tortue Kinder, nous allons pouvoir résoudre toutes les énigmes ! S’exclama Alexandra. Bon petite tortue, continua-t-elle en l’observant attentivement, dis-nous à quoi ressemble le trésor que nous cherchons.

- Et qui nous permettra de financer notre future maison de retraite ! Ajouta Lucie.

- Y’a un numéro sous la tortue, reprit Alexandra. 44.

- C’est le numéro du jouet, affirma Julien. Y’a toujours un numéro sous les jouets, c’est comme pour les verres de cantine.

- Que tu crois mon amour, continua la future maman. Moi, je parie que c’est le premier numéro des coordonnées de la dernière page.

- C’est pas bête ça, dit Clarisse.

- Hé ! Ca aide d’avoir un demi-cerveau supplémentaire !

Il y eut un petit instant de silence où chacun se passa le petit calepin et la tortue en plastique.

- Bon, reprit Lucie, on va se prendre un truc à manger dans une brasserie en réfléchissant à la suite.

- Et les billets pour le premier étage ? Demanda Mary.

- Tu as vu la queue ? C’est nul leur nouveau système de réservation horaire ! De toute façon, c’est juste une réservation, je n’ai rien payé.

- Et puis je commence à avoir très faim, ajouta Alexandra.

La proposition fut finalement acceptée à l’unanimité et les amis se dirigèrent vers le RER pour gagner le cinquième arrondissement, où le cousin de Julien lui avait recommandé une brasserie qui se nommait le Café le Petit-Pont. Une fois installés au chaud, leurs salades commandées,  les amis se penchèrent sur la première énigme notée dans le petit calepin : 48°38'37.11"N / 1°25'33.02"O. Clarisse avait pris avec elle son GPS, elle inscrit la suite de nombres et consulta le lieu d’arrivée.

- Courtils, déclara-t-elle, d’un air dubitatif. Enfin, c’est le nom du dernier patelin qu’on traverse en y allant. Apparemment, c’est en Normandie.

- Près de Rouen ? demanda Marc. J’y ai de la famille, on pourrait loger chez eux.

- Non, c’est près du Mont St-Michel, répondit Clarisse.

- Je n’ai jamais été par là-bas, déclara Alexandra.

- Nous non plus, ajouta Mary.

- Et ces chiffres, après les coordonnées, c’est quoi ?

- C’est peut-être une autre façon de noter la date : le sept avril de l’année 5, répondit Marc.

- Et l’année 5, c’est ? demanda Lucie.

- Tu es vraiment une fille toi ou pas ? C’est de la numérologie, il y en a dans tous les horoscopes des magazines féminins !

Tous se mirent à regarder le jeune homme d’un air étrange.

- Ben j’ai eu quatre grandes sœurs, alors les magazines féminins, ça me connaît ! Bref, il faut trouver l’année dont la somme des chiffres donne cinq. Ce qui nous donne…

- 2012, coupa Julien.

- Exactement, 2012 !

- Ce qui n’est pas logique, objecta Lucie, c’est qu’il ne marque jamais les autres dates de cette façon. Ca peut très bien être aussi une heure : sept heures quarante-cinq.

- Je veux bien, continua Clarisse, mais quel jour ? Si je me pointe à l’autre bout du pays, à huit heures moins le quart du matin, pour ne rien trouver, je sens que je vais laisser tomber cette chasse au trésor très vite !

- Clarisse a raison, approuva Lucie. Et pour ce qui est de l’hypothèse de la date, la seconde énigme se déroule en 2011. Pourquoi le second lieu serait avant le premier ?

- Alors ? On fait quoi ? S’impatienta Clarisse.

- Pour le moment, on reprend des forces, reprit Marc, les salades arrivent. Ensuite, on profite de notre après-midi à Paris, et on avisera. On a une semaine de vacances, et on peut partir quand on veut de chez Claude et Claude.

 

         Cédric et Carmen ne savaient pas vraiment quoi faire. Ils devaient repartir pour Lyon dans quelques heures, mais il y avait ces coordonnées GPS, sans date, et une figurine en plastique avec un 46 sous le pied. Ils présumaient donc qu’ils pouvaient y aller dès maintenant et craignaient que ce qu’ils devaient y trouver ne soit plus là s’ils trainaient trop. Et puis il y avait ces trois chiffres : 7.4.8 ! Ils trouvèrent un cybercafé en revenant vers le quinzième arrondissement, consultèrent Google Earth et découvrirent que le lieu de ce second rendez-vous était près du Mont St-Michel, à côté d’un village qui s’appelait Bas-Courtils. Ils décidèrent de s’y rendre dès qu’ils seraient en week-end, c’est-à-dire le week-end suivant, et commencèrent à chercher un hébergement. Ils trouvèrent une chambre d’hôte dans le village qui ne nommait Courtils et, devant la desserte ferroviaire dans le secteur, ils convinrent de s’y rendre en voiture, en coupant à travers la France, sans passer par Paris. C’était un peu plus long, mais au moins, ils seraient libres de leurs mouvements. Il ne leur restait que quelques jours à attendre, quelques jours de patience. Ca paraissait infime par rapport au temps qu’ils devraient attendre avant de résoudre la dernière énigme, en 2031.

 

         La décision fut jouée à pile ou face : ils partirent le mardi, assez tôt, de la maison de l’oncle et de la tante de Julien pour rejoindre la Basse-Normandie. Ils prirent l’A 13 puis l’A 84 pour bifurquer, trois heures plus tard, à la sortie 34, en direction du Mont Saint-Michel. Ils arrivèrent à onze heures à l’endroit qui se nommait « La Grève », qui était désert. Ils descendirent de voiture et contemplèrent le paysage devant lequel ils se trouvaient. Le Mont St-Michel se dressait au loin, un rayon de soleil perçait les nuages, juste au-dessus de lui, comme si quelqu’un l’éclairait pour le mettre en valeur. Après la route, derrière la rangée de poteaux en bois mangés par l’humidité, il y avait des herbus à perte de vue et la plage de sable humide. Ils ne savaient pas très bien où chercher. Les deux garçons partirent sur la petite montée qui menait aux propriétés privées derrière eux, fouillant à l’aide de bâtons dans les buissons. Mary et Alexandra avancèrent dans les herbus, tandis que Lucie et Clarisse partirent sur le chemin de randonnée. Ils se retrouvèrent vers midi devant le Multipla, tous bredouilles. Clarisse commençait de nouveau à s’énerver contre ce manipulateur et contre les imbéciles qui se laissaient manipuler. Elle donna un coup de pied contre un des poteaux qui bordaient la route. Elle cria car celui-ci était plus dur qu’il n’y paraissait et elle sautilla en se tenant le pied. Les autres rigolèrent à la voir s’énerver ainsi. Elle se calma et s’assit sur le poteau voisin de celui qu’elle avait injustement tapé. Au moment où elle s’assit, elle bascula en arrière. Mary vint l’aider à se relever pendant que Marc creusait le sol avec son bâton pour remettre le poteau en place.

- Oh putain !

- Non, chéri, tu ne me paies pas pour ça, répondit Lucie.

- Non… je veux dire…Venez voir !

Les cinq amis s’approchèrent et découvrir le petit coffret que Marc exhuma de la terre. Il passa la main dessus pour essayer de dégager la terre et le sable qui s’était collé au bois. Après ce nettoyage sommaire, il apparut que ce petit coffret semblait être fait dans le même bois que les autres. Il n’avait pas de cadenas et Marc se dépêcha de faire jouer le crochet. Ils trouvèrent dans le coffret un petit hippopotame en plastique. Alexandra cria de plaisir lorsqu’elle l’aperçut, rejouant la scène de la petite tortue. Il n’y avait rien d’autre dans le coffret que ce petit jouet. Ils trouvèrent un 50 gravé sous un des pieds de l’animal, qu’ils notèrent au crayon à papier à la dernière page du calepin.

- Mais, commença Julien, comment était-on censé penser à regarder sous ce poteau ?

- Ce n’est pas le 745ème ? demanda Alexandra, toujours plongée dans la contemplation de la figurine.

-  Non, répondit Lucie. Mais souvenez-vous ! Ce n’était pas un nombre à trois chiffres, mais trois chiffres séparés par des points ! Elle se mit à courir, allant dans la direction d’où ils étaient venus. Elle réapparut du coin de la butte, absorbée dans ses comptes.

- Trois, quatre et cinq. Non, ça ne colle pas ! J’ai pensé que c’était une façon de compter les poteaux ! Sept poteaux, puis quatre, puis cinq. Mais j’arrive à ce poteau, et nous avons trouvé le coffret trois poteaux plus loin, ça ne va pas. Et elle accompagna ces derniers mots en appuyant de son pied droit sur le poteau qui, à sa grande surprise, tomba comme l’avait fait celui sur lequel Clarisse s’était appuyée. Ils s’approchèrent d’elle alors qu’elle sortit, elle aussi, un coffret de dessous le poteau. Le coffret ressemblait en tout point à celui qu’avait trouvé Marc, sauf que le jouet qu’elle découvrit était une tortue, avec un numéro différent sous le pied. Sous ce jouet, il y avait un 42. Ils se regardèrent avec étonnement : ils n’étaient pas les seuls à faire cette chasse au trésor.

 

         Avec les pauses et le déjeuner, Cédric et Carmen mirent près de dix heures à rejoindre Courtils, au lieu des huit heures quarante-cinq annoncées initialement par le GPS de Carmen. Ils arrivèrent vers dix-neuf heures à Courtils, alors que la nuit était déjà tombée depuis presque deux heures. Ils gagnèrent directement la chambre d’hôte qu’ils avaient réservée. Là, ils posèrent leurs valises, mirent un pull supplémentaire, sortirent écharpes et gants et prirent la direction du Mont St-Michel pour visiter le site de nuit et déguster un bon repas normand. Ils avaient abandonné l’hypothèse que les chiffres écrits après les coordonnées GPS signifiaient sept heures quarante-huit et avaient décidé de profiter un peu de la chambre. Ils prirent donc leur petit déjeuner vers dix heures. Il faisait heureusement beau, ils pourraient donc mener leurs investigations sans se mouiller. Ils prirent le petit chemin de campagne en direction de la grève. Ils découvrirent la baie du Mont St-Michel de jour, et passèrent quelques minutes à profiter des lieux.

- Bon, commença Cédric, 7.4.8. Qu’est-ce que ça veut bien vouloir dire ?

- Il faut peut-être partir de l’endroit précis indiqué par les coordonnées et compter les pas.

Ils s’exécutèrent donc chacun de leur côté, à compter les pas à partir du bout de la butte, dans différentes directions. Alors que Cédric fouillait dans la pente qui montait vers les propriétés privées, Carmen se mit à compter non pas ses pas, mais les poteaux qui bordaient la route. Elle arriva au dix-neuvième poteau et essaya de le soulever. Elle y parvint sans mal et appela Cédric. Le jeune homme la rejoint rapidement et découvrit son raisonnement. Carmen se mit à genoux et fouilla la terre.

- Yes ! Elle sortit de la terre un petit coffret qui semblait être fait dans le même bois que les coffrets précédents. Elle l’ouvrit…

 

         - Nous ne sommes pas seuls sur cette chasse au trésor, déclara Lucie.

- Ben merde alors ! s’exclama Clarisse.

- Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Mary.

- Ben c’est simple, répondit Clarisse, on prend le coffret et comme ça, on sera sûr d’être les seuls à trouver le trésor.

- Ou bien… commença Alexandra.

- Ou bien quoi ?! Coupa Clarisse. On leur laisse leur beau coffret, on met nos deux tortues dedans, et on leur souhaite bonne chance pour la suite.

- Ou bien, reprit Alexandra en ignorant la remarque de Clarisse, on les laisse continuer comme nous.

- Pour qu’ils raflent la mise ?! S’enflamma Clarisse. Non merci ! On va pas se taper des allers-et-venues dans toute la France pour échouer au dernier moment. S’ils voulaient leur coffret et leur jouet, il n’avait qu’à venir plus vite !

- On va se calmer les filles, tempéra Julien.

- Oui, affirma Lucie. Je suis celle qui a trouvé ce coffret, je suis celle qui décide. Il y a d’autres personnes qui courent après le même objectif que nous, et ce ne sont pas forcément des ennemis.

- Mais pas forcément des amis, bougonna Clarisse.

- Je pense que c’est à moi que revient cette décision, continua Lucie. Nous pouvons peut-être leur laisser une chance. Nous aurons peut-être besoin d’eux.

- Je ne sais pas… nuança Julien.

- Ben on va faire ce qu’on fait toujours dans ces cas-là, conclut Mary.

- Oh non ! Encore ton truc débile ! Râla Clarisse.

- J’ai lu ça dans une nouvelle sur internet et c’est très bien pour laisser faire le destin. On ne connait jamais la portée de nos actes. Imagine que nous soyons plus de deux équipes… On éliminera peut-être les plus sympas.

- Bla bla bla bla bla ! dit Clarisse.

- Tu es vraiment chiante mon amour quand tu t’y mets, lui répondit Mary, sur un ton cassant. Bon… elle fouilla dans sa poche et en sortit une pièce de deux euros. Elle énonça la règle du jeu : Pile, on leur laisse tout, face, on leur laisse un coffret vide. Elle lança la pièce la rattrapa dans sa main droite, puis la bascula sur son avant-bras gauche.

 

         … et ne découvrit à l’intérieur qu’un petit hippopotame. Alors que le premier hippopotame pratiquait la boxe, celui-ci faisait du houla-hop. Carmen rigola en le voyant, mais le retourna assez vite pour chercher le numéro indiqué en dessous. Cédric reporta le 50 dans son petit calepin. Il était seulement onze heures quinze et ils étaient satisfaits d’avoir trouvé si vite et d’avoir réussi à déchiffrer l’énigme. Cette chasse au trésor était vraiment une bonne façon d’occuper leurs week-ends ; c’était aussi leur truc à eux, leur secret, leur occupation de couple. Ils s’éclipsèrent de Courtils pour remonter la côte jusqu’à la plage de Carolles où Cédric réussit à entrer dans une eau glaciale, et Carmen entreprit d’écrire un poème de Baudelaire sur le sable. 2010 passa sans énigme, mais elle fut pleine de projets, réalisés et planifiés. Ils concrétisèrent la possibilité de vivre ensemble en prenant un appartement à Lyon, Cédric s’impliqua dans la vie d’Hormonal Explosion en jouant le rôle de secrétaire et trouva pour le groupe plusieurs concerts et tremplins sur les scènes lyonnaises et parisiennes. Ils ne quittaient pourtant pas les énigmes des yeux et profitèrent de trois semaines de vacances en été pour explorer la région de la seconde page du calepin : 41°44'3.40" – 8°47’5.57’’. Les coordonnées indiquaient une plage de Corse, au sud d’Ajaccio. Ils avaient voyagés par ferry, avec la voiture de Cédric, chargée du matériel nécessaire et s’étaient baladés entre les différents campings de l’île, dont celui proche de la Baie de Cupabia. Cédric avait investi dans un petit récepteur GPS de poche, qui lui permettait de connaître avec précision les coordonnées du lieu où il se trouvait ; celles de la seconde page indiquaient le sud de la plage de cupabia. Ils y passèrent l’après-midi, profitant de l’eau bleue turquoise, du soleil et de la vue sur Capu Neru. Ils partirent ensuite continuer leur tour de l’île, et ne remirent le pied sur le sable fin de la plage de cupabia que le six juillet 2011.

 

 

         Il se passe beaucoup de choses en un an et demi. Des amitiés se font et se défont, l’amour va et vient, des hommes naissent et s’éteignent… Nos six lyonnais n’étaient plus que cinq lorsqu’ils embarquèrent sur le navire à grande vitesse en direction de l’île de beauté. A l’appel des chasseurs de trésor, il manquait Mary et Marc. La première avait quitté Clarisse en juin 2010, et le second avait été remercié en décembre de la même année par Lucie qui avait observé un manque manifeste de motivation et d’implication chez cet homme. Une nouvelle exploratrice s’était invitée dans la course au trésor ; c’était Anaëlle, la fille d’Alexandra et de Julien, née en le 19 mars 2010. Elle avait donc près de seize mois lorsque ses parents firent d’elle une authentique chasseuse de trésor. Lucie avait préparé leur excursion corse avec soin. La présence d’Anaëlle ne les avait pas encouragés à pratiquer le camping. Ils avaient donc décidé de loger à Propriano, au sud de la plage où ils devaient se rendre, dans un appartement pour six personnes. Ils partirent à la fin du mois de juin, le temps visiter les lieux et de profiter un peu de la Corse avant l’invasion des vacanciers estivaux. Clarisse râlait toujours autant sur l’instigateur de cette chasse, mais Lucie, qui était son amie depuis le collège, savait que c’était un moyen de manifester son impatience de trouver le trésor final, et d’une certaine façon, de montrer son excitation. Alexandra était un peu moins euphorique depuis son accouchement, mais elle était toujours en extase devant les deux tortues déjà trouvées. Julien et Lucie gardaient la tête froide et essayaient de faire avancer le groupe. Ils s’étaient revus à plusieurs reprises pour discuter des énigmes. Celle de 2011 était relativement aisée à découvrir, mais c’était celle de 2014 qui leur posait problème. L’énigme faisait référence à une fleur qui posait une question. Le nombre qui manquait était bien sûr important pour déterminer le lieu où se trouvait le quatrième coffret. Lucie s’était souvenue d’un détail qui avait toute son importance : sur le premier coffret, au dessus de la question gravée dans le bois – serez-vous suffisamment curieux ? – il y avait une petite gravure, et cette gravure représentait une fleur. Mais elle ne parvenait pas à se souvenir du nombre précis de pétales que comprenait cette fleur. Le problème était qu’elle avait laissé ce coffret dans la montagne. Elle était revenue dans la station au cours de l’été 2010 avec Marc, lui avait montré  le ruisseau et le mur de pierre où elle avait trouvé le coffret. Elle avait constaté avec désarroi que la cachette était vide, et revint à Lille bredouille. Ils avaient donc mûrement réfléchi, Clarisse avait partagé avec ses amis l’étendue de sa connaissance des injures et jurons français et allemands, et ils étaient arrivés à la conclusion suivante : la seconde énigme du coffret comprenait une date. Il y avait une chance pour que l’autre – ou les autres – équipe ait la même date sur son calepin. Il suffisait de se passer la journée sur la plage de cupabia pour les rencontrer et négocier une entraide. Clarisse avait pesté en disant que s’ils l’avaient écoutée et avaient pris le contenu du coffret, ils auraient eu une monnaie d’échange pour obtenir le renseignement désiré. Il y avait beaucoup d’inconnues et de présupposés, mais Lucie croyait en leur plan.

 

         Les deux amoureux avaient longtemps hésités : allaient-ils dormir au camping ou directement sur la plage de cupabia ? Deux jours avant, des attentats avaient frappé des camping-cars garés près d’Ajaccio, un peu plus au nord, ils décidèrent donc de dormir en sécurité dans leur camping et d’aller sur la plage vers huit heures du matin. Lorsqu’ils arrivèrent à l’endroit qu’ils avaient foulé presqu’un an auparavant, ils se mirent à creuser. Il ne leur fallut qu’une dizaine de minutes pour dégager un coffret fermé par un cadenas numérique à quatre chiffres, tous calés sur le 0.

- Encore ! s’exclama Cédric.

- Comme sur le second coffret, c’est ça ?

- Non, il n’y avait que trois chiffres sur le second.

- Je pense qu’on est bons pour refaire défiler les chiffres, si trois chiffres font mille possibilités, quatre chiffres font dix mille possibilités.

- Ca parait logique.

- On n’est pas arrivés

- Pas forcément.

- Tu penses à la combinaison de l’autre coffet ?

- Ca vaut le coup d’essayer. Cédric fit tourner les deux derniers chiffres pour indiquer le quarante-neuf. Mais le cadenas resta clos.

 

         - Putain de bordel de coffret de merde !

- Exactement Clarisse, tu m’ôtes les mots de la bouche, répondit Lucie. Les deux filles étaient parties assez tôt de l’appartement, et avaient promis à Julien et Alexandra de ne pas ouvrir le coffret, avant d’être revenue à Propriano. Avec le cadenas à quatre chiffres, elles étaient sûres de ne pas succomber à la tentation de l’ouverture. Lucie calcula qu’ils avaient le choix entre dix milles possibilités pour trouver le bon code. Cette probabilité lui donna le vertige. Elle prit le coffret et, avec Clarisse, elles revinrent en direction de l’unique chemin d’accès à la plage. Elles étaient arrivées vers sept heures et demie, et avaient assez vite rejoint le nord de la plage de cupabia. Alors qu’elles s’approchaient du chemin, elles aperçurent deux personnes qui creusaient le sol. Les deux filles trouvèrent un rocher et se cachèrent pour observer le résultat de leur recherche. Elles les virent sortir un coffret du sol et l’observer. Malin, pensa Lucie, une équipe au nord, et une autre au sud. Alors que les deux autres chasseurs de trésors s’apprêtaient à repartir de la plage, Clarisse sortit de sa cachette et les héla.

 

          - Oh ! Hé ! Oui ! Vous deux, là ! Le mignon petit couple. Attendez ! La jeune femme s’approcha alors qu’ils s’arrêtaient. Une autre femme sortit d’un rocher derrière et s’avança à son tour. Dans les bras, elle portait un coffret quasiment identique à celui qu’ils venaient de trouver.

- Mais ! s’exclama Cédric. Le coffret ? Comment cela se fait-il ?

- Et oui, rigola la première. Ca fait bizarre de voir qu’on n’est pas seul dans cette foutue aventure, hein ?

La seconde jeune femme les rejoint rapidement, et elle leur expliqua qu’elle aussi avait trouvé le premier gros coffret, avec l’invitation à ouvrir sous forme de question, qui l’avait emmené, au fil des énigmes, à se retrouver ici, sur cette plage corse. Elle ajouta que deux autres amis participaient à l’aventure, mais qu’ils gardaient leur fille à Propriano. Elle leur proposa de venir prendre le petit déjeuner avec eux, pour discuter de cette étrange aventure.

Tellement surpris de voir qu’ils n’étaient pas seuls dans cette longue aventure et curieux de savoir si les autres avaient plus d’informations sur le mystérieux organisateur, les deux amoureux acceptèrent avec plaisir cette invitation et les suivirent jusqu’à Propriano. Dans la voiture, Cédric et Carmen n’en revenaient toujours pas.

- C’est dingue ! déclara le jeune homme. Au final, je n’avais jamais pensé qu’on pouvait être plusieurs sur le coup.

- J’espère que cette rencontre ne va pas tourner à notre désavantage.

- Je ne pense pas. Pour le moment, tout ce que nous avons, ce sont des jouets en plastiques numérotés. Alors, je sais que les numéros nous conduirons sûrement à l’énigme finale, mais on a le temps pour ça !

- En tout cas, si leur code pour le second coffret était identique au nôtre, Ils pourront sûrement nous aider à trouver le code de celui-ci !

- C’est vrai.

 

         A Propriano, dans l’appartement 26, Lucie présenta Carmen et Cédric à Alexandra, Julien et Anaëlle. Ils s’assirent tous autour de la table, sur le grand balcon, et prirent un bon petit déjeuner, en discutant de leurs expériences respectives. Ils se rendirent compte qu’ils étaient au même moment en dessous de la Tour Eiffel et Cédric se demanda s’il n’y avait pas aperçu Clarisse ce jour-là ; ils s’étonnèrent des lieux où ils avaient trouvé leurs coffrets respectifs ; et ils comparèrent les codes d’ouverture du second coffret. Alors qu’ils avaient commencé à faire tourner les différents chiffres du cadenas du dernier coffret en date, Lucie demanda à Cédric :

- Tu te souviens du code qu’indiquait le cadenas du second coffret quand tu l’as trouvé ?

- Euh… non… je ne crois pas… Non. Y’avait peut-être un six, ou un neuf… mais je ne suis vraiment pas sûr.

- Le mien affichait 747.

- Oui ! C’est ça ! Sept cent quarante-sept !

- Un six ou un neuf, hein ? Ironisa Clarisse.

         Carmen et Julien firent donc tourner les chiffres pour indiquer cette combinaison et réussirent à débloquer le cadenas très facilement.

- Merci beaucoup Lucie, soupira Carmen, sans toi, on était mal barré !

- De rien.

- OOOOOOOOOOOOH ! Ils sont trop mignons, cria Alexandra en apercevant les deux jouets en plastique. Elle les attrapa et commença à les faire dialoguer. Les autres regardèrent en rigolant la jeune maman alterner entre la grosse voix de l’hippopotame et la petite voix de la tortue. Carmen regarda avec désarroi Lucie qui lui répondit un simple : et oui ! C’est toujours comme ça !

Elle reprit ensuite : mais en fait, je crois que vous allez avoir l’occasion de nous rendre la pareille. Elle expliqua la façon dont c’était déroulée la découverte du premier coffret et le fait qu’elle ait voulu garder cela secret pour elle. Elle finit en racontant qu’elle avait remis le grand coffret dans la montagne et qu’il avait disparu de sa cachette.

- Mince, conclut Cédric.

- Tu peux y aller franco le lyonnais : Triple merde ! Reprit Clarisse.

- Mais en quoi cela est un problème pour la suite des énigmes ?

- Tu n’as pas regardé la suite du calepin ? S’étonna Julien.

- Ben… tu sais, la prochaine énigme est en 2014, on ne voulait pas tout résoudre d’un coup !

Lucie expliqua l’énigme de la troisième page et les conclusions qu’ils en avaient tirées.

- Ah oui, là, je comprends pourquoi tu as besoin de notre coffret.

- Si, bien sûr, c’est le même dessin sur le coffret.

- Nous ne pouvons pas vous aider pour le moment… Le coffret est à Lyon… Comme on faisait du camping, on ne voulait pas se charger inutilement.

- Ah…

- Ben c’est pas grave déclara Alexandra, avec la grosse voix de l’hippopotame, on se téléphonera !

 

         Cédric et Carmen récupérèrent leur hippopotame, et prirent l’adresse email de Lucie qui prit en retour celle de Cédric. Ils repartirent ensuite à leur camping. En rentrant à Lyon, Cédric contacta Lucie et lui donna le numéro manquant : le six. L’énigme de la page trois les amenait donc dans le Doubs, entre Valdahon et Etray. Depuis le séjour en Corse, Lucie avait fait la connaissance de James, un jeune franco-anglais, avait emménagé avec lui et avait planifié un mariage pour le mois de mai 2015 ; Clarisse était de nouveau avec Mary, et elles avaient officialisé leur union en se pacsant, conviant même Cédric et Carmen pour l’occasion ; Anaëlle avait eu le déplaisir de devoir partager ses parents avec un petit Théo ; tandis que Carmen avaient donné naissance à deux petits garçons fin novembre 2012, nommés Louis et Romain. Les amis se retrouvèrent donc le 16 février 2014 et découvrirent leurs coffrets, dans deux champs voisins.

 

         Pour la quatrième énigme, en septembre 2017, les équipes ne ressemblaient plus vraiment à ce qu’elles étaient en 2009 : Carmen et Cédric vivaient à l’Ouest de Lyon avec leurs jumeaux. Cédric était passé vendeur dans un magasin d’électroménager, et Carmen partageait toujours son temps entre Hormonal Explosion et son emploi dans une mutuelle privée. Lucie et James habitaient toujours Lille, ils s’étaient mariés deux ans auparavant, au cours d’une grande fête au cours de laquelle tous les participants à la chasse au trésor lui avaient fait cadeau d’un coffret en bois avec une serrure à code électronique dont elle avait mis un an et demi à percer le code, et dans lequel elle trouva un coffret sculpté en cristal de Dawn. Lucie attendait maintenant une petite fille, mais souhaitait garder le prénom secret. Mary et Clarisse avaient déménagé en Belgique où elles avaient pu adopter un petit garçon nommé Noé. Alexandra et Julien avaient préféré au nord le climat plus doux des Pyrénées Orientales, et s’installèrent non loin de Béziers. Ils restaient bien sûr tous en contact. En septembre 2017, ils ne se rendirent pourtant pas au même endroit. Si la latitude était identique, les longitudes se différenciaient par la lettre qui les accompagnait. Carmen et Cédric devaient se rendre à l’ouest de Greenwich, alors que Lucie devait rassembler ses troupes à l’est du méridien. Ils trouvèrent chacun leur coffret, et se racontèrent leurs découvertes respectives par email en revenant chez eux. Ils se virent plusieurs fois pendant les quatre ans qui les séparèrent de 2021 : naissances, anniversaires, vacances,… Leur éloignement géographique était une bonne occasion de voyager au travers de la France ! Ils avaient été surpris de voir que la cinquième énigme du calepin les menait dans le Nord, au sud-est de Lille, au dessus de Valenciennes, dans la forêt de Raismes. Ils furent encore plus étonnés de voir que les coordonnées les menaient à deux arbres voisins. Il leur fallut peu de temps pour comprendre qu’ils devaient grimper pour récupérer le coffret. Anaëlle, âgée de onze ans, s’essaya à l’escalade pour récupérer le coffret lillois, provoquant immédiatement chez les autres enfants l’envie irrépressible de monter eux aussi dans le second arbre pour chercher l’autre coffret.  Chacun put tenter l’expérience, mais ce fut à nouveau Anaëlle qui parvint à l’attraper. Les deux coffrets s’ouvrirent sans mal et les jouets livrèrent leur dernier secret : un 34 pour le coffret de Cédric et Carmen et un 10 pour Lucie et ses amis. Un tour de GPS plus tard, ils découvrirent avec, au final, peu d’étonnement l’endroit où se trouvait le dernier coffret : Cédric et Carmen devaient retourner à Notre-Dame de Monts, tandis que Lucie devait à nouveau revenir dans la montagne près d’Orcières Merlette, sûrement près du ruisseau.

         Il leur fallut attendre dix ans. Ils avaient très envie de venir en avance, de réussir à surprendre l’organisateur de la chasse au moment où il viendrait cacher les coffrets, mais il leur fallut tout de même attendre dix ans. Clarisse et Mary déclarèrent forfait pour cette ultime énigme, Noé ayant des problèmes respiratoires nécessitant une longue hospitalisation, tandis qu’Alexandra et Julien durent faire face au licenciement de Julien, ce qui ne leur permettait pas de traverser le sud de la France pour chercher une figurine Kinder.

 

         Le treize octobre 2031, au soir, Cédric, Carmen et les jumeaux dînaient dans la maison de famille à Notre-Dame du Mont, alors que Lucie, James et Lisa faisaient un jeu de société dans un appartement à Orcières Merlette. Cédric s’éclipsa un peu avant minuit, équipé d’un sac de couchage, pour aller surveiller l’endroit où il avait trouvé le coffret vingt-deux ans auparavant ; Lucie partit aux premières lueurs du jour pour rejoindre le petit ruisseau au cœur de la montagne. Elle avançait un peu plus lentement que lors de ses randonnées de jeunesse et entendit plusieurs fois la voix de Clarisse pester contre les ravages du temps.

        

         Cédric s’endormit vers deux heures du matin, et Lucie parvint au ruisseau vers huit heures trente. Cédric s’éveilla vers cette heure-là. Un coffret était apparu à ses pieds. Il râla contre lui-même. Rapidement, il se redressa et ouvrit le coffret. Sous le couvercle, il découvrit un écran LCD, sur lequel venait de s’afficher « Connexion en cours… ». Il n’y avait aucun bouton sur le bord de l’écran, mais seulement un petit micro intégré. Dans le coffret, il y avait un exemplaire d’un livre écrit par Sylvain Augier. Il se souvenait de cet homme ; il avait présenté une émission sur France 3 dans la fin des années 90, une émission qui s’appelait…

 

         La carte au trésor ! Bien sûr ! Encore un pied de nez ! Mais qu’est-ce que le livre intitulé « L’instant où tout a basculé » venait faire dans ce coffret ? Sous le livre, Lucie découvrit un clavier. Elle supposa qu’il était relié à l’écran LCD, mais se demanda à quoi cela allait lui servir et avec quoi la connexion se faisait. Soudain, l’écran afficha : « connexion réussie – début de la visioconférence. »  Lucie sursauta lorsqu’elle aperçut l’individu qui apparut devant elle.

 

         - Lucie ?

- Oui, mais qu’est-ce que tu fais là Cédric ? Tu es à Notre-Dame ?

- Oui, j’ai trouvé le coffret, et je suppose que toi aussi…

- Accompagné de ce livre de Sylvain Augier. C’est quoi cette blague ?

 

         Une vieille voix, chaude et rassurante se fit entendre :

- Bonjour à tous les deux. Si vous êtes arrivés jusque là, c’est que vous pouvez aller encore un peu plus loin. Vous avez un livre avec vous, et vous avez une boite de dialogue sous votre écran : vous avez deux heures pour indiquer les bonnes coordonnées. Au-delà de ce délai la chasse au trésor sera finie… avec ou sans le trésor ! Si l’un de vous indique les coordonnées avant l’autre, sa victoire sera validée et la chasse au trésor sera achevée. 

 

         - Mais… merde ! Paniqua Cédric. On fait quoi ?

- Ben on se dépêche de chercher les coordonnées.

- Quelles coordonnées ?

- Je sais pas ! Des numéros de pages mis en évidence… des coordonnées GPS… tout ce qui peut nous mettre sur la piste.

- Et si c’était dans le texte ?

- Je regarde les numéros, et toi le texte, au bout d’une heure, on échange, d’accord ?

 

         Pendant une heure, Cédric, qui n’aimait pas vraiment lire, balaya en diagonale le début du livre pendant que Lucie passait au crible chaque numéro, inspecta son coffret et le clavier pour essayer de trouver un indice. Au bout d’une heure, ils échangèrent et Lucie se plongea dans le récit de l’accident du présentateur dont elle avait entendu parler au moment de la sortie du livre, à la fin des années 2000. Un moment, elle lut une phrase qui n’avait rien à faire avec la description de la dépression dans laquelle était tombé l’ancien animateur. La phrase commençait ainsi : « Vous vous rendrez, avec votre collection de figurines, dans la dernière maison, avant d’arriver à la plage de Saint-Girons-Plage. Indiquez le cœur du rond-point. » Cette phrase était complètement intégré au reste du texte et il était impossible de la repérer juste en le survolant. Elle interpela aussitôt Cédric :

- Cédric ! Page 57 !

- Quoi ?

- Tu dois y avoir la réponse, cinquième ligne en partant du bas. Il se passa un moment pendant lequel Cédric reprit le livre qu’il avait laissé pour chercher les nombres sur le coffret et chercha la page indiquée. Il la trouva et la lut.

- Vite le GPS !

Ils lancèrent le logiciel de géo-localisation de leur GPS, trouvèrent l’image satellite de Saint-Girons-Plage, dans les Landes. Ils se mirent d’accord sur les coordonnées GPS du rond-point et les recopièrent sur leur clavier. Ils comptèrent jusqu’à trois avant d’appuyer sur la touche « Entrée ». Les coordonnées disparurent de la boite de dialogue et l’écran s’éteignit soudainement.

 

         Il fallut attendre quelques semaines que Noé soit suffisamment sorti d’affaire pour que Mary et Clarisse puisse le laisser sous la surveillance de ses grands-parents et que les filles se joignent à leurs amis pour la découverte de  la maison de Saint-Girons. Clarisse avait bien injurié tous ces imbéciles qui attendaient les deux lesbiennes au lieu d’aller chercher le trésor, mais rien n’y fit.

Après la coupure de la communication, Lucie et Cédric s’étaient appelés en rejoignant leur famille. Ils s’étaient vu à Notre-Dame de Monts lors du week-end de la Toussaint et c’est là qu’ils avaient décidé d’attendre que tous leurs amis soient là pour découvrir le butin de la chasse au trésor, tous ayant aidé, d’une façon ou d’une autre à la résolution des énigmes. De toute façon, la voix avait annoncée que la chasse au trésor était terminée ; il n’y avait donc aucune crainte que le trésor ne s’échappe.

 

         Lucie et Cédric durent se battre contre leur impatience de découvrir leur trésor. Ils avaient choisi le 23 novembre 2031 pour découvrir la maison, en souvenir de la première fois où ils avaient été réunis au pied de la Tour Eiffel. L’anniversaire de Julien étant à la mi-novembre, son cadeau d’anniversaire fut le paiement du voyage aller-retour de Béziers jusqu’à Saint-Girons pour lui et sa famille. Ils étaient donc tous là, sauf Marc. Ils s’étaient donné rendez-vous au pied de l’église de Saint-Girons à onze heures, pour aller ensemble jusqu’à la dernière maison avant la plage de Saint-Girons-Plage. A mesure qu’ils s’en approchaient, leurs cœurs battaient de plus en plus vite. Ils passèrent devant un petit lotissement, le dernier avant la plage. En demandant à un passant s’ils étaient bien face à la plage, ce dernier leur répondit que « non, là, c’est l’attrape-nigaud. Pour rejoindre la plage, vous faites demi-tour, au rond point, tout droit, et puis à gauche. Continuez tout droit pendant 3 kilomètres et ensuite à gauche, vous ne pouvez pas le louper, c’est marqué ». Aucun des amis ou des enfants ne remarqua la fleur que l’homme portait en boutonnière, qui était la parfaite réplique de la fleur gravée sur le premier coffret.

         Ils suivirent le chemin, jusqu’à arriver sur une route qui revenait vers la côte. Ils passèrent devant une barrière moisie et un portail délabré, et arrivèrent à la plage. Non, pas de maison. Clarisse dit qu’elle leur avait bien dit, et ajouta un juron pour la forme. Elle se fit reprendre par Cédric qui montra d’un coup d’œil les enfants. Ils se laissèrent les voitures à la plage et remontèrent la route à pied jusqu’au portail délabré. Sous la sonnette, il y avait le dessin d’un hippopotame et d’une tortue en plastique, qui se tenaient la main. C’était bien là. La petite troupe de treize personnes entra par le portail et avança dans un jardin qui avait des allures de jungle. Après dix bonnes minutes de marche, ils découvrirent une petite cabane en bois en très mauvais état.

- S’il n’y a pas un million de lingots d’or dans cette foutue cabane, je vais te la démolir et tout bruler !

- Calme-toi Clarisse, souffla Cédric. Il ne faut pas s’arrêter aux apparences. Allez, on entre !

         Anaëlle, Romain, Louis, Théo et Lisa avaient déjà atteint les fenêtres et essayaient de voir au travers, mais la poussière et la crasse les en empêchaient. La génération précédente rejoignit la porte et Lucie l’ouvrit. Il n’y avait rien d’autre à l’intérieur qu’un énorme coffre. Il était fait du même bois que les autres, mais celui-ci faisait au moins trois mètres sur deux, pour une hauteur d’un mètre. Sur le dessus du coffret, il y avait trois trous. Au dessus de chacun des trous, il y avait une gravure : un hippopotame, une tortue et un canard. Les chasseurs s’étonnèrent :

- Il y avait un troisième coffre ?! S’exclama Mary.

- Peut-être qu’il n’a pas été trouvé, proposa Julien

- Ou peut-être que les gens n’étaient pas assez curieux, ajouta Carmen.

- Ou alors ils étaient trop cons ! Conclut Clarisse.

Cédric lui jeta un regard noir, alors que les enfants se mirent à rigoler.

- Nous devons mettre nos figurines, annonça Lucie.

- Alors apprêtons-nous à dire au revoir à nos petits chéris, lança Alexandra.

- Mais… demanda Mary, et s’il fallait les canards aussi ?

- Non, objecta Lucie, le coffret avec l’écran devait permettre de choisir un vainqueur. C’est peut-être justement un moyen d’empêcher un autre candidat d’ouvrir le coffre au trésor. On commence par lesquels, les hippopotames ou les tortues ?

- En même temps ? Demanda Cédric.

- Yop, répondit Lucie.

 

         Ils se placèrent chacun devant l’ouverture correspondant à leur figurine et les firent tomber les unes après les autres, après un décompte régulier. Lorsque les sixièmes figurines tombèrent dans leurs cavités, il y eut des bruits de serrures et d’engrenages puis, le silence retomba dans la cabane miteuse. Julien, Clarisse, Lucie et Cédric soulevèrent le lourd couvercle du coffre, et tout le monde s’approcha pour découvrir le mystérieux contenu.

        

         Tout au fond du grand coffre, il y avait une petite boite en métal, avec, sur le dessus, un petit bouton vert et un cadran à chiffres. A côté de l’appareil, il y avait un bout de papier. Lucie le saisit et lut à voix haute :

 

      

« Mes très chers amis,

 

Merci de vous être prêté à ce petit jeu. J’espère vous avoir distrait autant que possible. Javoue avoir pris beaucoup de plaisir à organiser cette petite partie de chasse au trésor.

 

Vous avez gagné ! Le trésor que vous trouverez près de cette note peut vous paraître étrange, mais il vaut le détour.

 

Jai un passe-temps dinventeur. Au fur et à mesure du temps, jai poussé mes recherches pour créer des objets de plus en plus surprenants. Je vous présente mon téléporteur : entrez des coordonnées GPS, appuyez sur le bouton vert, et vous vous retrouverez instantanément téléporté au lieu correspondant.

 

Bons voyages.  

 

Amicalement,

                                   George-Patrick S. »

 

 

 

         Alors que tous étaient sous le coup d’une légitime incrédulité, Anaëlle alluma son portable et rechercha les coordonnées GPS du parking de la plage. Avant que les autres eut le temps de réagir, elle saisit le téléporteur et courut hors de la cabane. Elle tourna manuellement les chiffres du cadran, et déclara « On se retrouve aux voitures » avant d’appuyer sur le bouton vert. Elle disparut sous les yeux sidérés de ses parents.

         La petite troupe arriva au pas de course jusqu’au parking, et découvrit Anaëlle, accoudée à la voiture de Cédric.

         Tandis que tous la regardaient, médusés, Clarisse déclara :

 

         « La curiosité, un vilain défaut ? Mon cul oui ! »

 

 

FIN

 

 

 

Si vous voulez vous prendre pour Lucie ou pour Cédric, suivez le lien du géocaching : PAR ICI !

 

 

 

 

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