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La magie de Noël

Par Thomas Burnet

               

                  Hugo, seize ans, est assis à son bureau. Aux murs de sa chambre, les posters de rap et de jeux vidéos recouvrent le papier peint que ses parents avaient eu tant de mal à poser lorsqu’il avait fait son entrée au primaire. Concentré, l’adolescent s’applique à lister tous les cadeaux qu’il souhaiterait recevoir pour Noël. Il parcourt rapidement les catalogues posés sur son bureau, qu’il a longuement compulsés depuis qu’il les a reçus, un mois auparavant, passant d’une page à l’autre, à la recherche de ce qu’il avait repéré. Assassin’s Creed II, un des derniers jeux de Playstation 3, le Star Wars Force Trainer, un scooter,… les items se suivent et bientôt la feuille A4 est totalement recouverte d’une écriture particulièrement soignée.  Le jeune homme referme son stylo bille, attrape un feutre vert et signe sa lettre. Après avoir tracé un trait sous son prénom, il se relève et observe le résultat. Il approuve d’un petit signe de tête, avant de plier sa lettre et de la glisser dans une enveloppe qu’il ferme soigneusement. Il prend son stylo à encre violette pour écrire l’adresse du destinataire :

Père Noël

Pays du Père Noël

- ‘Man, j’ai fini !

- Très bien Hugo, je finis la mienne. Pose-là sur la table de la cuisine à côté de celle de ton père et de ta grand-mère.

- Ok.

                Une fois la lettre posée dans la cuisine, le jeune homme remonte dans sa chambre, allume sa console, place son casque sur les oreilles et se prépare à dézinguer quelques keufs avant le dîner.

 

Case n°2

 

Noël 2009 s’achevait comme les éditions précédentes : les enfants des pays riches avaient reçu trois fois leur poids en jouets, peluches et autres jeux électroniques, les adultes commençaient la valse des échanges et des reventes et les autres ramassaient les restes.

                Dans les grandes surfaces, on démontait les présentoirs et on changeait les têtes de gondoles. Janvier arrivait à grand pas, et avec lui, de nouveaux thèmes allaient attirer les chalands : les soldes, les galettes des rois, le blanc et la puériculture.

                Le mouvement était bien réglé, et, même si certains événements prenaient un peu d’avance  - la rentrée scolaire en juin, Noël en octobre - chaque promotion  arrivait à point nommé pour répondre aux besoins des consommateurs et surtout pour satisfaire ceux qu’ils n’avaient pas encore.

                Les décorations étaient rangées dans les cartons, les slogans allaient être affinés et réactualisés, et la magie commerciale de Noël s’éteignait pour mieux renaître en septembre 2010.

Mais en février  les prémices d’un changement apparurent. Comme la plupart des prémices, ils passèrent inaperçus et personne ne s’en rendit compte, mais très vite des événements exceptionnels attirèrent l’attention du monde entier et personne ne put ignorer que la situation allait changer radicalement.

 

 

Case n°3

 

                Maxime Dugrès ouvrit avec émotion le paquet que ses amis venaient de poser sur la table de la salle à manger. Le jeune homme venait de souffler ses dix-neuf bougies et se demandait ce que ses amis lui avaient offert. Il découvrit avec plaisir une console de jeux vidéo ; une Wii, la dernière sortie de chez Nintendo. Ca faisait tellement longtemps qu’il les bassinait avec son envie d’acquérir cette console, et son célèbre jeu de karting, qu’il poussa un YES de satisfaction et commença une tournée de bises. Lorsqu’il regagna sa chaise, il se doutait que le second cadeau, de taille plus réduite, était le fameux jeu qu’il lui tardait d’expérimenter.

Alors que Maxime déballait son jeu, Jérémy remarqua un drôle de symbole sur la boite. Il demanda à Justine, celle qui avait acheté les cadeaux la semaine précédente, si elle savait pourquoi était écrit « SC&R » juste à côté du nom de la console et ce que cela signifiait. La jeune femme n’en avait aucune idée et n’avait pas souvenir d’avoir vu ce sigle lorsqu’elle avait emballé la console. Maxime, après avoir poussé un second cri de joie, leur montra la boite du jeu de course où figurait encore le symbole inconnu.

                Charlotte suggéra que c’était peut-être le nom d’une filiale de la marque japonaise et les amis se satisfirent de cette explication. Une fois le dessert avalé,  ils installèrent le cadeau de Maxime dans le salon, et finirent la soirée à se défier au kart, au tennis ou encore au bowling.

                SC&R…

                Trois jours plus tard, les dirigeants de Nintendo organisèrent une réunion pour comprendre d’où venait cet étrange sigle et pourquoi il apparaissait sur l’ensemble de leurs produits.

 

Case n°4

 

                Après les produits Nintendo, ce furent les produits Mattel, Ouaps, Mickaëla Frey, Hugo Boss qui virent apparaître sur leurs produits l’étrange sigle SC&R, et, la semaine suivante, une grande partie de l’industrie du loisir et de l’accessoire étaient touchés : Cds, Dvd, parfum, vêtements,… La stupéfaction était générale. Et les entreprises étaient d’autant plus déconcertées que leurs produits étaient normaux à la sortie de l’usine, et ce n’était qu’une fois en rayon, voire sous papier cadeau que l’étrange marque apparaissait sur les emballages et les produits.

                Personne ne savait comment les vandales faisaient pour marquer les produits, les théories se multipliaient, allant jusqu’à l’évocation des extra-terrestres ou de la main de Dieu.  Les chefs d’entreprise, les conseils d’administration et les responsables des magasins de grande distribution étaient de plus en plus méfiants à l’égard de leurs employés et installèrent de nombreuses caméras de surveillance, mais personne ne fut pris sur le fait. Il y eut bien sûr quelques imitateurs, mais ils n’avaient ni l’efficacité, ni la discrétion des vrais responsables de cette affaire.

                L’action de l’armée silencieuse et invisible franchit une étape supplémentaire lorsqu’au milieu de la nuit du 21 février, l’ensemble des usines fabriquant des produits non alimentaires et les entrepôts qui les stockaient explosèrent d’un seul BOUM. Cette coordination parfaite, à une échelle si grande, semblait si inconcevable qu’il fallut la preuve par l’image pour que l’incrédulité générale ne tombe.

                Le lendemain, ce fut la panique. Tous les consommateurs, craignant la pénurie, venaient acheter tout et n’importe quoi, si bien que les magasins des cinq continents furent obligés de fermer et un début de marché noir se mit en place.

                Clément Barbenron, chef la gestion du stock au Carrefour de Grenoble, participa à une réunion de crise avec la direction de son hyper marché pour essayer de savoir quoi faire et comment réagir. Les produits alimentaires n’étant pas touchés, il fut décidé de retirer de la vente les produits dont les usines avaient été détruites et de recentrer l'activité sur la nourriture, le temps que le problème se règle.

                Pourtant, lorsque les équipes reprirent le chemin des magasins le 24 février, les réassorts avaient été faits et tous les produits concernés par la disparition d’une usine étaient en stock, à ce détail près que toutes les marques étaient remplacées par le sigle SC&R.

                Et sur toutes les lèvres, une seule question se posait : qui se cache derrière cette étrange marque, capable de créer un monopole mondial en seulement trois semaines ?

 

Case n°5

 

- Ici le commissaire Valentin Lebegot. Interpol vient de confirmer que le QG de SC&R se trouve à La Tronche, en Corrèze. Les équipes sur place viennent d’être contactées et des moyens supplémentaires sont en route.

- Vous avez dit La Tronche ? Valentin entendit son interlocuteur pouffer.

- Vous allez vous en remettre Monsieur le président ?  

Ce dernier rit encore quelques secondes avant de se reprendre et de demander : Vous vous y rendez ?

- Oui, monsieur le président, dès que nous avons raccroché.

- Très bien. Tenez-moi au courant dès que les choses bougent. Je veux être le premier à annoncer la fin de cette organisation mystérieuse.

Le président laissa un blanc, avant de demander :

- Il y a un drôle de bruit derrière vous Lebegot, où êtes-vous ?

- euh… Ne vous inquiétez pas Monsieur le président, je suis sous un appentis, et la pluie qui tombe sur le toit fait beaucoup de bruit.

- Très bien, faites attention à ne pas trop vous mouiller. Moi, je file prendre une tisane avant d’aller me coucher et dormir un peu ; il ne faudrait pas que j’ai l’air fatigué devant les caméras. Bon courage Lebegot, à tout à l’heure.

Le commissaire redressa la tête pour récupérer son portable qui glissa de son épaule alors que, de son autre main, il finissait d’uriner.  Il referma sa braguette, tira la chasse d’eau et sortit des toilettes du siège d’EMI. Le dirigeant de la maison de disque venait de recevoir un colis de SC&R et Valentin voulait être présent en personne pour l’ouverture du colis. Les démineurs donnèrent leur feu vert et le directeur général déballa le paquet. Tous les badauds présents furent surpris de découvrir un gâteau en plastique, avec une bougie en son sommet qui s’était allumée toute seule à la lumière. Une voix grave s’éleva du gâteau, souhaitant au patron d’EMI un très bon anniversaire. Touché par l’attention, il souffla la bougie et tout le monde applaudit. Lebegot frappa des mains pour signifier aux techniciens de la police scientifique que l’objet était bon pour partir en analyse. La foule des curieux se dispersa assez vite.  

Avant de partir, Valentin Lebegot essaya de dérober la bougie à allumage automatique, mais le patron d’EMI le vit et lui tapa sur les doigts d’un air réprobateur.

                Le commissaire sortit du bâtiment et rejoignit au pas de course le stade Poissonniers où un hélicoptère l’attendait. L’hélicoptère le déposa sur la base militaire de Villacoublay où un avion privé l’emmena jusqu’en Corrèze. Pendant le trajet, il repensa à cette affaire qui l’avait tenu en haleine pendant ces deux derniers mois ; la course contre la société fantôme, les descentes dans des bâtiments déserts, les interrogatoires de suspects qui se révélaient innocents... Il n’avait jamais pensé qu’il serait si difficile de coincer une entreprise pirate qui faisait tant parler d’elle. Elle était aussi difficile à attraper qu’un courant d’air. Ni lui, ni ses collègues à l’étranger, ni les têtes pensantes d’Interpol n’avaient trouvé quoi que ce soit de tangible sur cette société au nom mystérieux. Alors qu’il se remémorait ces faits, l’hôtesse de l’air embarquée vint le voir pour lui proposer un rafraichissement. Il demanda un coca, mais elle lui répondit qu’ils n’avaient pas pu se réapprovisionner depuis trois semaines et  qu’il ne leur restait que du Cacolac, de l’eau et du Calvados. Etant allergique au lait, Valentin opta pour le digestif normand. Les hommes qui l’accompagnaient choisirent l’eau.

Lorsque l’avion se posa, plusieurs verres de Calva plus tard, Valentin était complètement saoul, et se rhabillait comme il pouvait après le strip-tease qu’il venait de proposer à ses subalternes et au personnel de vol. Il se dirigea en titubant vers la sortie et ne put descendre de l’appareil que soutenu par deux hommes.

Sur la piste d’atterrissage de l’aérodrome, quelques personnes attendaient. Le lapin en chef de la police divisionnaire du département accueillit Valentin avec sourire.

- Bienvenue en Auvergne !

- C’est ben joli ton coin lapinou ! On va voir Ta tronche ?

- Ma quoi ???

- Ben Ta tronche ! Y’a le truc du machin qu’on doit voir là-bas.

- Ah, euh… non, vous vous trompez je crois. Nous avions prévu de vous emmener à Salles.

- A la sale tronche ???

Les réacteurs de l’avion privé s’allumèrent soudainement, mais au lieu du bruit assourdissant habituel, ils diffusèrent une chanson de Jean-Jacques Goldman. Le lapin s’approcha du commissaire et se mit à danser en criant :

- Valentin ! Il faut y aller là ! Valentin !

Valentin !

Chéri !

                Le commissaire ouvrit les yeux en sursaut. Il était en nage. Sa femme, assise dans le lit, le secouait par le bras, en lui disant qu’il était l’heure de se lever.

 

Case n°6

 

                Le commissaire parisien souleva la couette et s’assit sur le bord du lit. Quel rêve ! La Tronche ! Comme si l’entreprise la plus puissante du monde pouvait établir son QG en Corrèze ! Il sourit. Ce serait un très joli pied de nez à tous ceux qui leur couraient après depuis deux mois maintenant.

                Deux mois ! Deux mois qu’il se demandait en vain : qui se cache derrière SC&R et qu’est-ce que ces lettres signifient ? Il se perdit dans l’observation de ses pieds nus, puis se décida à se lever pour prendre une longue douche. Depuis qu’il avait le nez dans cette étrange affaire de société fantôme, sa douche était un des rares moments où son imagination se relâchait et où il s’amusait à échafauder des théories étranges, loufoques et invraisemblables. Avec le rêve qu’il venait de faire, il imagina les responsables de SC&R comme des bergers et des paysans auvergnats qui avaient appris à maîtriser l’outil informatique pour établir un ordre nouveau.

L’ordre – ou plutôt le désordre – nouveau était en marche, mais l’enquête, elle, n’avançait pas. De fausses pistes en témoignages inventés, SC&R leur filait entre les doigts. Valentin ferma le robinet, et sortit de la douche dans les volutes de vapeur d’eau. Ce matin, il avait une réunion avec le chef de la délégation française d’Interpol, le premier ministre, les ministres de l’Intérieur, de l’économie et du travail. Ce n’était pas le jour pour arriver débraillé, il se décida à raser la barbe qu’il laissait pousser depuis une semaine.

Il avait tout de même le bon rôle dans cette histoire. Interpol était une organisation d’étude, d’analyse et d’échange d’informations, mais elle avait aussi besoin d’hommes sur le terrain. Pour cela, elle utilisait les effectifs des polices nationales. C’est là que Valentin entrait en jeu : il était, en tant que commissaire divisionnaire, pour la région parisienne, le coordinateur des informations d’Interpol et des hommes sur place. On n’attendait pas de lui d’avoir les bonnes idées et les solutions, mais s’il en trouvait, on l’écoutait avec intérêt. Il savait que lors de la réunion du jour, on demanderait au délégué d’Interpol de nouvelles pistes, des avancées, alors qu’on lui demanderait à lui où en étaient les équipes sur place ; s’il y avait quelque chose à trouver, les hommes le trouveraient, mais s’il n’y avait rien, c’étaient aux gars d’Interpol de se creuser les méninges.

Une fois rasé, il remonta s’habiller, puis enchaîna avec un rapide petit déjeuner. Il revint dans la salle de bain pour se brosser les dents, avant de revenir dans la chambre embrasser sa femme enceinte de 7 mois et demi puis de s’installer au volant de sa voiture. Il brancha l’oreillette de son portable car, durant le trajet, il devrait s’entretenir avec différents commissaires pour faire un point sur ce qui s’était passé durant la nuit. Il démarra et, avant de composer le premier numéro, il rigola pour lui-même : la Tronche ! dit-il à voix haute, et pourquoi pas le pays du Père Noël pendant qu’on y est !

 

Case n°7

 

 

 

- Alors, la situation est toujours la même ?

- Désespérément. Le ministre de l’économie regardait le président de la république d’un air las. Ce dernier s’était invité à la réunion hebdomadaire pour se tenir au courant des derniers faits et poser les questions qui le taraudaient. Le ministre reprit : Les magasins reçoivent toujours les articles non alimentaires, mais aucun moyen de savoir comment ; parfois, c’est un camion chargé on-ne-sait-où par on-ne-sait-qui avec un chauffeur qui pensait transporter des légumes, d’autres fois, l’entrepôt est rempli la nuit comme par un coup de baguette magique… Les factures sont adressées par courrier, courriers sans empreintes digitales, postés d’un peu partout ; Rio, Londres, Seattle, Truttemer-le-Grand, ça change à chaque fois.

- Et donc, tous les pays du monde sont touchés, la société est en contact permanent avec des centaines de milliers d’entreprises, mais personne ne sait qui se cache derrière SC&R ?

- Exactement. En silence, le ministre de l’intérieur acquiesça pour confirmer, dépité.

- C’est dingue ! s’exclama le président. Du côté d’Interpol, vous n’avez rien du tout.

- Absolument rien, Monsieur le président. Nous avons des pistes que nous faisons suivre, mais rien qui ne se confirme. Il interrogea du regard Valentin qui sentit que c’était pour lui le moment d’intervenir.

- Non, monsieur le président. Encore quinze entrepôts de contrôlés cette nuit et rien. Les réserves étaient vides et elles se sont toutes remplies en une seconde, comme par magie, un peu après trois heures du matin. Toutes en même temps. 

- C’est impossible.

- Je vous le dis comme les hommes l’ont vécu monsieur le président. A chaque fois, nous installons un système très sophistiqué, avec micros haute sensibilité, caméras thermiques, à vision nocturne, capteurs à infrarouge, nos hommes sont cachés dans les entrepôts, mais ils sont incapables d’attraper qui que ce soit.

- Nous ne sommes pas les seuls dans ce cas là ajouta le délégué d’Interpol : aucun pays au monde, malgré les moyens déployés, n’arrive à avancer sur la piste SC&R.

- Il y a encore plus étrange Monsieur le président…

Le président se tourna vers le ministre du travail qui continua :  

- Les employés des usines détruites se mettent à recevoir de l’argent.

- Comment ça ?

- SC&R leur a envoyé un courrier : s’ils se mettent activement à la recherche d’un emploi, ils recevront l’équivalent de leur ancien salaire tous les mois jusqu’à ce qu’ils retrouvent un emploi.

- Dans le monde entier ?

- Dans le monde entier.  Et s’il ne cherche pas activement un emploi ?

- Ils reçoivent deux courriers d’avertissement, et ensuite ne perçoivent plus rien du tout.

- Comment SC&R peut-il savoir s’ils cherchent vraiment un emploi ?

- Comment font-ils pour remplir les entrepôts du monde entier au même instant ? Le mystère reste entier.

- Et les gens retrouvent du travail ?

- Ils cherchent en tout cas. Les secteurs porteurs sont l’alimentaire, le bâtiment, le médical, la restauration et les services. Mais il devient difficile de trouver du travail…

- J’imagine…

- En tout cas, les petits villages n’ont jamais été aussi bien desservis en cafés, coiffeurs, supérettes et boulangeries.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                  

Silence. Le président semblait réfléchir. Il se tourna à nouveau vers le ministre de l’économie et demanda :

- Une chose me turlupine encore.

- Oui, Monsieur le Président.

- Les sociétés dont les usines ont été détruites, Sony par exemple, comment font-elles pour rentrer dans leurs frais ? Et les nouveaux produits qu’ils avaient en projet ?

- C’est un mystère de plus : ils vendent leurs concepts à SC&R qui leur achète et qui ensuite les fabrique à la chaîne. Les prix sont fixés par la société fantôme, mais ils sont justes. Les sociétés peuvent continuer à créer de nouveaux jeux, à produire des artistes, à élaborer des technologies nouvelles…

- En tout cas, coupa le ministre de l’intérieur, cette société est toute puissante et il semble impossible de l’arrêter !

De nouveau, le silence se fit dans la petite salle de réunion. Le premier ministre, qui avait été silencieux jusqu’alors, prit la parole :

- Vous savez quoi ?

- Non, répondirent en chœur les autres.

- Moi, j’ai parfois l’impression que ce sont des extra-terrestres qui veulent faire fortune sur Terre !

Un court silence fit place à une hilarité générale.

- Et moi, reprit le ministre de l’économie, je dirais plutôt que ce sont des êtres fabuleux, comme des fées ou des lutins.

Les rires éclatèrent de plus belle.

- Non, non, j’ai mieux, ajouta le président de la République. Comme ça touche majoritairement l’industrie du cadeau, moi, je vois le Père Noël, assis à son bureau, avec sa cohorte de lutins dans son usine personnalisée et ses rennes qui livrent les entrepôts…

Tous rirent de bon cœur en visualisant le vieux bonhomme en ennemi numéro 1. Puis leurs mines se défirent.

- Bon, conclut le premier ministre, on n’est toujours pas plus avancé, c’est ça ?

 

Case n°8

 

                Antoine arriva en courant l’arrêt du 154. Il était le premier. Il poussa un soupir de soulagement et se mit en place : il posa son sac à dos par terre, s’assit sur le banc, sortit son téléphone portable de la poche intérieure de son manteau et simula une conversation téléphonique. Quelques minutes plus tard, lorsque Léa et Julie arrivèrent au même endroit, elles poussèrent un cri d’excitation.

- WOW ! Ca y est ! Tu l’as !

L’adolescent mit fin à sa conversation imaginaire et cria à son tour : Ouais ! C’est trop bien !

- Montre, montre, montre… dit Julie.

- C’est un vrai ou pas ? demanda Léa.

- Calmez-vous les filles. Oui, c’est le véritable I-Phone par SC&R. Regardez.

Antoine confia le téléphone portable à Léa qui l’observa longuement, passa le doigt sur l’inscription gravée à l’arrière et le donna à son amie. Après quelques secondes d’analyse, elle reprit :

- Il est trop beau. J’adore le sigle de la marque, ce rond rouge luminescent, c’est trop stylé !

- Il fait tout comme l’autre ? demanda Léa.

- Comme l’I-phone de vieux ? Oui. Et… 

- Hé, coupa Julie, vous savez ce que ça veut dire SC&R ?

- Mon frère m’a dit que c’était une inscription satanique, expliqua Léa. Pour lui, ça veut dire Satan’s Compagny et Revival. Ou alors Souffrance, Chaos et Renaissance, suivant les interprétations.

- N’importe quoi ! Rétorqua Antoine. J’ai vu sur Facebook que c’est un nouvel ordre mondial, qui va révolutionner nos sociétés occidentales, et ça veut dire Sans Contrepartie et Revenus.

- Moi, reprit Julie, j’ai beau tourner ça dans ma tête dans tous les sens, et à part Société du Cochon et du Renard, je ne trouve rien de valable…

Un jeune cadre qui était arrivé à l’arrêt un peu après les filles les coupa : Arrêtez de dire des âneries les jeunes… Ca peut vouloir dire tout et n’importe quoi… Tenez, pourquoi pas le gang des mamies : Simone, Claudine & Renée ?!!

Les trois adolescents rirent en visualisant trois mamies, le cigare dans la bouche, une carte du monde dans leur salon, prêtes à mettre le monde à leurs pieds, avant de monter dans le bus qui venait de se garer devant l'arrêt.  

 

Case n°9

 

 

 

                Vendredi 14 mai 2010. Kelly Cassidy rentra chez elle, le sourire aux lèvres. Elle était de retour d’un voyage à Tucson, Arizona, où elle avait trouvé, dans une des librairies de la ville, un cadeau qui ferait très plaisir à son petit frère Andrew. Ce dernier, depuis son enfance, collectionnait les comics. Afin de ne jamais laisser passer un titre rare, il avait listé ceux qu’il convoitait et chacun de ses proches avait reçu la liste, avec une indication des prix moyen et maximum à y mettre et avec la consigne de ne pas hésiter s’il y avait doute. La liste était réactualisée tous les six mois, afin de coller au plus près de la réalité du marché. Kelly ne manquait jamais une occasion de trouver la perle rare qui manquait à la collection de son frère, et écumait les bacs de bandes dessinées dès qu’elle en croisait.

                Elle sortit délicatement le comic du sac en papier et l’observa. C’était le premier numéro de The Goon, trouvé, en excellent état, au très bon prix de cinquante-cinq dollars. Au fil du temps, elle avait appris à apprécier ces magazines, à juger de leur qualité et, lors de ses recherches, elle était maintenant habitée de l’excitation de la collectionneuse.

                L’anniversaire d’Andrew étant déjà passé, Kelly décida d’attendre Noël pour offrir la bande dessinée à son frère. Elle la prit sous le bras et monta allumer son ordinateur. Elle rédigea un rapide email aux autres détenteurs de la précieuse liste, les avertissant qu’elle avait trouvé The Goon, et qu’il n’était donc plus nécessaire de le rechercher. Il fallait maintenant espérer qu’Andrew ne tombe pas dessus d’ici Noël. Etant donné le prix auquel elle l’avait acheté, Kelly se dit qu’au pire, elle pourrait toujours le revendre et récupérer sa mise.

                L’email envoyé, elle redescendit prendre une bière dans le frigo et remonta pour travailler un peu. Alors qu’elle arrivait devant son ordinateur, elle fut surprise de ne plus voir le comic qu’elle avait posé là quelques minutes auparavant. Elle souleva les quelques papiers posés sur le bureau, se mit à quatre pattes, regarda dans la poubelle, puis descendit au rez-de-chaussée pour fouiller le sac en papier, la cuisine et les autres pièces à la recherche du magazine. Rien. Elle contrôla sa porte d’entrée : fermée à clé ; de même pour la porte de derrière et les fenêtres.

                Deux heures de recherches plus tard, elle dut se rendre à l’évidence : le premier numéro de The Goon avait disparu et elle ne savait où il pouvait bien être.

 

Case n°10

 

 

 

                - Miguel ! Te revoilà ! Alors qu’est-ce que tu as ?

- Oh la la ! Patron ! Plein de choses. Nous ne sommes qu’au mois de mai, mais les gens achètent déjà tellement de cadeaux !!!

- Montre-moi ça.

Miguel partit chercher le gros sac de toile qu’il avait laissé à l’entrée du bureau et le traîna à l’intérieur. Il le souleva avec peine et le posa sur la table. Il approcha un tabouret, grimpa dessus, et sortit les différents objets qu’il avait amassés au cours de sa journée.

- Alors, il y a des porte-montres, quinze assiettes de collections, des dizaines de DVD, deux pantins de bois, trente comic – dont le premier numéro d’une série nommée The Goon – une centaine de livres de collection, une pléthore de bibelots en tout genre, des souvenirs de voyage et quelques vêtements… Miguel finit par renverser le sac au-dessus de la table, faisant tomber de nombreux jouets et le reste des objets du sac.

Miguel passa la main sur son front et soupira. Puis il ajouta :

- Sans compter le flipper et le jukebox que j’ai laissés dans le couloir et la voiture à moitié réparée qui est dans la cour…

 Son patron s’exclama : Oh la la !  On a du boulot si on veut que le plan se déroule comme prévu…

Miguel acquiesça.

Ils restèrent quelques instants sans parler, à regarder la montagne d’objets sur la table, puis Miguel replia son sac, sauta du tabouret et sortit du bureau lentement. Dans le couloir, il croisa Joe qui arrivait lui aussi avec un gros sac en toile.

- Tu en as ramassé beaucoup ?

- Je crois que mon sac était aussi rempli que le tien… Mais je me trainais aussi une voiture, un jukebox et un flipper.

- Et on n’est qu’au mois de mai !

 

 

Case n°11

 

 

- Mais tout de même Valentin, tu dois bien pouvoir faire quelque chose ?!

- Non maman, ce n’est pas possible, et puis, je n’ai pas le temps…

- Mais si un policier ne peut pas m’aider, alors qui le pourra ?

- Je suis policier maman, mais je suis sous les ordres d’Interpol. Je ne me peux pas me permettre de mener mes propres enquêtes.

- Et bien donne-moi le numéro de ce Paul, je vais lui expliquer la situation.

- Non maman, Interpol, c’est une organisation de toutes les polices du monde.

- C’est encore mieux ! En vous y mettant à plusieurs, vous allez pouvoir coincer le sale malfrat qui m’a volée !

- Es-tu vraiment certaine qu’on t’a volée ?

- Tous les cadeaux de Noël que j’avais déjà achetés ont disparu ! Le verre de Picon pour Edgar, les jeux que j’avais achetés en solde pour tes neveux, ton propre cadeau…. Ils ont tous disparu !

- Tu as du les ranger dans le mauvais placard maman ; c’est tellement mal rangé à la maison.

- Veux-tu arrêter de dire des bêtises ?! Je sais très bien ce que je range dans mes armoires. Et pour le bazar, si ton père se décidait à arrêter de prendre la maison pour une salle à archives, on y verrait plus clair !

                Lorsqu’il avait eu cette conversation avec sa mère à la fin du mois de mai, Valentin ne l’avait pas prise au sérieux. Mais mi-juin, lorsqu’Interpol demanda de recenser tous les cas de vol de cadeaux de Noël, le commissaire y repensa immédiatement, mais hésita à envoyer deux hommes à sa place, pour éviter une heure de remontrances. Il se décida finalement et se rendit en personne chez ses parents. En ouvrant la porte, lorsqu’elle découvrit son fils derrière la porte, Micheline lança : Et bien te voilà enfin ! Je te l’avais bien dit qu’il y avait quelque chose de bizarre !

 

Case n°12

 

 

                Interpol remarqua assez vite que les méthodes des voleurs de cadeaux de Noël présentaient trop de similitude avec celles de la mystérieuse SC&R pour que ce soient une coïncidence. Ils auraient pensé que la société fantôme souhaitait garder le monopole sur le marché du cadeau de Noël, si les voleurs de Noël ne s’en prenaient pas aussi aux cadeaux estampillés SC&R.

Cette année 2010 était vraiment féconde en mystères, mais leur persistance nuisait fortement à la crédibilité du directeur d’Interpol, Sylvain Henri, à qui les chefs d’état faisaient sentir qu’il serait bon pour la suite de sa carrière qu’il trouve un moyen de mettre fin à cette affaire.  

Le 15 juillet, un mystère supplémentaire mit Sylvain un peu plus à cran. Les gérants de grandes surfaces et les responsables de stocks s’étaient habitués à  ce que, chaque nuit, leurs entrepôts se remplissent automatiquement d’articles en tout genre. Mais ce jeudi matin, aucun réassort ne fut fait, et les réserves restèrent dans le même état que la veille au soir. Tout le monde se trouvait démuni face à cette situation inédite. SC&R était une société invisible : sans téléphone, sans fax, sans standard, sans adresse, sans interlocuteur ; avec elle, tout se faisait de façon tacite. Les entreprises voyaient leurs comptes en banque prélevés de la juste somme, tous les 25 de chaque mois, et, comme tout se passait bien, personne n’avait cherché à en savoir plus.

Mais l’engrenage s’était grippé. Les réserves se vidaient peu à peu, et la panique du mois de février reprit.  Il fallut attendre le 25 juillet, jour habituel de prélèvement, pour que chaque entreprise en affaire avec SC&R reçoive une lettre, reçoive cette lettre :

 

Case n°13

 

 

Clément Barbenron
Hypermarché Carrefour Grenoble Echirolles
Voie 24 Villeneuve
38130 ECHIROLLES

 

Siège de SC&R, le 24 juillet 2010,

 

M. Barbenron,

 

Vous avez pu constater que, depuis le 15 juillet dernier, nous avons cessé nos approvisionnements dans votre magasin.

A l’approche du mois de septembre, il nous semble indispensable de modifier votre calendrier promotionnel. Notre président-directeur-général a décidé que, cette année, aucun magasin, ni grande surface ne vendra de cadeaux de Noël. Vous avez donc cessé de recevoir tous les produits susceptibles d’être offerts comme cadeaux à cette occasion.

Toutefois, vous recevrez en temps voulu les produits nécessaires pour que vos clients puissent préparer et décorer leur maison pour cette grande fête de fin de l’année.

Suite à cette décision, il est évident que nous interrompons nos prélèvements sur vos comptes, jusqu’à ce que nous reprenions nos livraisons.

Jusque là, nous vous proposons de réorienter votre activité dans le secteur alimentaire.

Nous vous prions d’agréer, M. Barbenron, l’expression de nos salutations distinguées.

 

Chen, secrétaire du président-directeur-général de SC&R.

 

Case n°14

 

                Cette lettre fut reçue sur les cinq continents, et, malgré les traductions, le message restait le même : SC&R coupait les vivres. Tout le monde était touché, même ceux pour qui le 25 décembre était un jour comme les autres n’avaient plus accès à autre chose que de l’alimentaire, des articles de bricolage, et tous les produits que jamais personne n’aurait eu l’idée d’offrir. De même, les personnes souhaitant profiter de cette crise pour revendre leurs objets personnels sur Internet voyaient ces biens disparaître aussitôt l’annonce déposée.
                Valentin était sur les dents. Sylvain aussi. Ainsi que le reste des enquêteurs qui travaillaient sur cette affaire. Le commissaire parisien, en manque d’action, passait beaucoup de temps dans les bureaux d’Interpol de Lyon, avec les autres commissaires régionaux, pour se tenir au courant des derniers faits et participer aux groupes d’enquêtes. C’est l’analyse de la lettre reçue par le magasin d’électroménager Lamblot de Dijon le 25 juillet qui apporta l’avancée la plus prometteuse depuis le début de l’affaire SC&R. Dans le coin supérieur droit, il y avait une empreinte digitale. Nette, entière. C’était la première erreur de l’organisation secrète. Une erreur de taille qui pourrait peut-être enfin permettre de mettre un visage sur le sigle SC&R. L’empreinte fut bien sûr confrontée au fichier d’empreintes français et très vite un nom apparut : Patrick Nemours. Un homme aux cheveux blonds et courts, les yeux verts, très grand, qui habitait en Gironde. L’information fit rapidement le tour du réseau Interpol, mais la consigne fut de garder la plus grande discrétion afin de ne pas éveiller ses soupçons. Alors que les hommes des groupes d’intervention se préparaient à investir le domicile de monsieur Nemours, le FBI diffusa une information contradictoire : les empreintes digitales, qui avaient été envoyées aux quatre coins du monde avant l’identification du bordelais, semblaient appartenir à un certain Scott Clawson, un quadragénaire originaire du Massachussetts.
                Malgré les interrogations, l’intervention fut maintenue, et Patrick Nemours fut placé en garde à vue. Mais cet employé de fast-food ne semblait pas avoir la carrure d’un maître du monde, pas plus que Scott Clawson, technicien de surface dans une galerie commerciale, et accro à l’univers de l’héroic fantasy.
                Dans les jours qui suivirent, d’autres noms apparurent aux quatre coins du monde : Joe en Finlande, Tibor en Hongrie, Bernardo Nipoli en Italie, ou encore Shen au Japon. Tous ces hommes étaient l’inverse de l’image qu’on pouvait se faire des dirigeants d’une société fantôme, une belle équipe de loser, qui semblaient totalement étrangers à SC&R.
                Les policiers d’Interpol durent se rendre à l’évidence : ils avaient été menés en bateau et l’enquête revenait à son point de départ…
                De son bureau, confortablement installé dans son fauteuil, S.C., de la société SC&R, rigolait allègrement dans sa barbe…

Case n°15

 

 

                Dimanche 8 août 2010
                Toute la famille Glibot s’était réunie dans le salon pour regarder le DVD de Ratatouille que le petit Jérémy avait eu trois mois plus tôt pour ses cinq ans. Au moment où le petit rat et le méchant Skinner débutèrent leur course poursuite à travers la capitale française, l’écran devint soudainement tout noir. M. Glibot se leva, vérifia la prise du téléviseur, éteignit puis ralluma le lecteur DVD, mais rien n’y faisait, l’écran restait noir. Jérémy commença à s’inquiéter, mais son père le rassura en lui montrant que même sur le réseau numérique, il n’y avait rien. Ce que M. Glibot ne savait pas, c’est que son écran de télévision n’était pas le seul à être soudainement devenu noir. A travers le monde, tous les écrans – qu’ils soient d’ordinateur, de télévision ou de caméra de surveillance – s’étaient tus, de même que les postes de radios ou les téléphones portables.
                Pendant quinze minutes, plus rien. Silence. Pour la première fois depuis longtemps, dans le monde entier, le silence régnait à nouveau.  
                Puis, une petite musique s’éleva des postes, des portables, et des écrans. Une musique joyeuse, une musique de fête… Les anglophones reconnurent immédiatement cet air, c’était une célèbre chanson de Noël : Santa Claus is coming to town.
You better watch out, you better not cry, you better not pout I’m telling you why,
Santa Claus is coming, to tooooooown !
He’s making a list, and checkin’ it twice, about to find out who’s naughty or nice,
Santa Claus is coming, to tooooooown !
                Sur l’écran, de la neige se mit à tomber. Un fondu fit apparaître un vieil homme en costume rouge, assis dans un confortable fauteuil. Les enfants de la famille Glibot s’écrièrent : C’est le Père Noël !  Oubliant du coup le petit rat et sa course folle dans Paris.
                Le Père Noël commença par un traditionnel « Ho ho ho », puis il dit :
                Bonjour à toutes et à tous…

 

Case n°16 

 

                La plupart d’entre vous doit savoir qui je suis. Pour ceux qui ne le savent pas, je suis le Père Noël. Le vrai Père Noël. Un très vieux bonhomme qui existe réellement.

Je suis actuellement le dirigeant de la société SC&R, que j’ai créée au mois de février dernier avec un associé. Je vous expliquerai pourquoi dans quelques instants.

Il y a longtemps, au début de l’hiver, un voyageur est arrivé dans mon pays avec sa famille. Ses trois enfants avaient très froids et étaient très fatigués. Je leur ai offert l’hospitalité et, au cours de la nuit, touché par ces enfants courageux, je leur ai fabriqué à chacun un jouet de bois. Le matin, au pied de leurs lits, ils trouvèrent ces cadeaux et, devant leurs yeux émerveillés, j’ai décidé que j’avais envie de passer ma vie à récompenser les petits enfants courageux, et qu’en l’honneur des petits de ce voyageur, je le ferai au début de chaque hiver.

Les premiers temps, les hommes crurent que c’était Dieu qui déposait un cadeau pendant la nuit. Cela m’ennuyait, car je me donnais beaucoup de mal et je n’avais pas envie qu’un autre en récolte les fruits. Alors, un jour, je m’arrangeai pour qu’un père de famille m’aperçoive. Il me dessina, et répandit la nouvelle que les cadeaux divins étaient en fait du à un vieil homme avec une grande hotte.

Dès lors, j’ai tout fait pour rajouter un peu de folklore. Un traîneau, l’habit rouge, les rennes volants, la grande barbe, la cheminée…. Tout ça, c’est de l’accessoire, pour faire vivre ma légende et donner envie aux enfants d’avoir du courage.

Mais dernièrement, j’ai remarqué que les enfants n’avaient plus envie d’être courageux, qu’en grandissant, ils ne croyaient plus en moi, qu’ils prenaient ma place, couvrant leurs bambins flemmards de montagnes de cadeaux inutiles. J’ai vu qu’il n’y avait plus de place dans vos cœurs pour mes cadeaux.   

                Avec Rodolphe, le chef de mes rennes, nous avons pris la décision de reprendre Noël en main. D’où la création de SC&R, d’où la main mise sur l’industrie du cadeau, d’où la fin des approvisionnements des magasins et le vol des cadeaux de Noël.

                Je n’ai pas envie d’être un faire valoir, je n’ai pas envie de n’être qu’un folklore… Je suis le Père Noël bon sang !

                Cette année, si vous voulez des cadeaux, il va falloir être courageux, et il va falloir les demander gentiment.

                Vous recevrez prochainement un catalogue. Ce catalogue vous permettra de faire votre lettre que j’attends pour le 6 décembre 2010, dernier délai.

                Et n’oubliez pas, soyez courageux, soyez généreux et vous serez récompensés !

                J’ai la conviction que nous allons passer un très très bon Noël !

                Ca oui, un très très très bon Noël !

 

He’s making a list, and checkin’ it twice, about to find out who’s naughty or nice,

Santa Claus is coming, to tooooooown ! 

 

Case n°17

 

                A l’image du Père Noël, succéda le sigle de la marque SC&R, un cercle rouge luminescent. Après cinq minutes, les programmes reprirent normalement, devant des spectateurs et des auditeurs stupéfaits.

                Des flashs spéciaux furent rapidement organisés et les extraits de l’intervention du Père Noël tournaient en boucle sur Internet. La question qui revenait le plus souvent était de savoir si l’homme qui s’était exprimé devant le monde entier était le vrai Père Noël ou pas. De nombreuses personnes pensaient qu’il y avait trop de choses inexplicables dans ce qu’il venait de se passer pour ce soit une simple campagne de pub : le Père Noël – ou celui qui prétendait l’être – s’était exprimé sur tous les médias, à la même seconde, dans toutes les langues, ce qui suggérait une organisation et des moyens techniques au-delà du possible. Les partisans de la supercherie essayaient quant à eux vainement de ramener les autres à la raison : le Père Noël ne pouvait être qu’un argument commercial, un fantasme d’enfant, permettant d’engranger des millions… Ils applaudissaient tout de même la multinationale capable de monter un tel canular, tout en dénonçant du bout des lèvres leurs méthodes peu légales.

Mais, finalement, tous devaient reconnaître que cette version des faits était la seule qui expliquait vraiment tout ce qui s’était passé dans le monde depuis le mois de février.

                Une autre question apparut assez rapidement : où se cachait ce Père Noël ? Les dernières théories le faisaient vivre en Laponie, au Pôle Nord ou encore dans la ville de Rovaniemi. Mais les investigations policières dans ces différents lieux ne donnèrent rien. Les autorités fouillaient les moindres recoins de la botte de foin, mais ce vieil homme omniscient restait introuvable.

                Cette affaire occupait tous les esprits, le sujet était sur toutes les lèvres, et tout le monde attendait maintenant l’arrivée de ce fameux catalogue, censé aider à établir une liste de cadeaux de Noël, aussi bien pour voir ce que le Père Noël proposait que pour essayer de trouver des preuves permettant de l’attraper.

 

 

 

Case n°18

 

                Le vieil homme se figea, attendit quelques secondes avant de se détendre en expirant lentement.

               - Vous étiez très bien patron !

               - Tu crois ? J’espère qu’ils ont compris… J’espère qu’ils ne m’en voudront pas…

               - Ils ne pourront pas ! Avec tous les cadeaux qu’on va leur apporter !

               Le Père Noël soupira. Depuis toujours, il avait  été très soucieux de l’opinion qu’on se faisait de lui et ne supporterait pas de ne plus être aimé. Mais d’un autre côté, il était tellement énervé de ce que les adultes avaient fait de Noël qu’il était convaincu qu’il ne pouvait plus rester caché dans son coin. Il ne pouvait pas laisser sa fête ainsi…

               Léo, le lutin qui venait de le filmer pour les chaînes du monde entier, rangeait sa caméra soigneusement. Lorsqu’il eut fini, il demanda au Père Noël :

               - Patron ?

               - Oui Léo ?

               - Est-ce qu’on fera ça tous les ans ?

               - Oh ça, je ne peux pas te le dire mon petit Léo. Ca dépend des hommes. Avant, je me contentais de gérer la liste des jouets demandés, leur construction et leur distribution… Mais si je dois aussi empêcher les hommes de s’offrir des cadeaux et dédommager ceux que j’empêche de travailler, ça risque de devenir bien plus compliqué. Ah ! Peux-tu noter que le petit Charles Jeanez de Lyon a très envie d’une guitare ?

               Le lutin sortit un calepin de sa poche et nota scrupuleusement ce que le père Noël venait de lui dire. Les listes au Père noël étaient pour lui un aide-mémoire, mais en réalité, il avait appris à lire dans le cœur des gens et savait, parfois même avant qu’ils ne le sachent eux-mêmes, ce qu’ils désiraient comme cadeau.

                - Nous gardons le 2 novembre comme date pour l’envoi du calendrier ?

               - Bien sûr Léo ! On ne va pas les envoyer trop tôt… Il faut mettre leur patience à l’épreuve, nous allons les laisser un peu attendre…

 

Case n°19

 

                Ca pour sûr, la patience des hommes fut mise à rude épreuve : les mois de septembre et octobre passèrent sans nouvelles du Père Noël. Les magasins n’étaient toujours pas réapprovisionnés, les tentatives pour reconstruire des usines échouaient et ceux qui essayaient, malgré tout, de trouver des cadeaux de substitution, comme des aliments ou des outils, les voyaient subitement disparaître de chez eux. La colère montait et le vieil homme était l’objet de tous les débats : existe-t-il vraiment ? Peut-on vraiment le croire ? Qui se cache vraiment sous ce déguisement ? Noël 2010 sera-t-il sans cadeau ?

                De son pays lointain, le Père Noël sentit la colère des hommes et restait partagé : il ne pouvait pas supporter qu’on le haïsse, mais voulait tellement qu’on lui laisse une chance de faire Noël à sa façon, à l’ancienne.

                - Je vais y aller.

- Quoi ?!

- Je dois y aller Rodolphe.

- Mais tu es fou ! Ils vont t’étriper !

- Non, je dois absolument leur parler, leur expliquer… Ils doivent comprendre qu’ils se trompent, ils doivent voir la bonne façon de fêter Noël…

- Je pense que tu es dingue. Mais tu fais comme tu veux. En tout cas, tu devras te débrouiller sans moi, hors de question que je mette une patte là-bas avant le grand soir.

- Ce n’est pas grave, je prendrai Comète et Cudipon, avec l’amour et le bonheur qu’ils apportent, ils mettront les enfants de mon côté.

                Les deux jours suivants, il resta enfermé dans son bureau, à préparer son discours aux hommes.      

Hélas, dans le monde des hommes, la situation avait empiré. Le vieil homme était devenu l’ennemi numéro 1, comparé à un mauvais gréviste caché dans son pays lointain, prenant en otage les fêtes de Noël. Les enfants ne pouvaient plus avoir leur traditionnelle photo avec le Père Noël, car plus personne n’avait envie de se déguiser comme lui. Dans les entrepôts des magasins, les costumes ne passaient même plus en rayon, car certains clients, énervés d’être privés du plaisir d’offrir, se vengeaient sur la seule chose qui pouvait leur rappeler le Père Noël. Les lutins, observateurs invisibles des hommes, avaient rapporté la situation au Père Noël qui décida d’annuler sa venue et d’avancer d’une semaine l’envoi des catalogues.

                 Ainsi, le 26 octobre 2010, dans toutes les boites aux lettres du monde des hommes, les catalogues de Noël apparurent.

 

Case n°20

 

                Au début, les réactions furent violentes et les hommes se réunirent devant les mairies et les églises pour brûler ces catalogues. Mais à chaque fois qu’un catalogue était détruit, celui-ci était systématiquement réexpédié. A force de les voir réapparaître, les esprits se calmèrent et certains les ouvrirent. Devant le nombre de cadeaux proposés, les hommes se prirent au jeu de la rédaction de la liste.

                Il y avait en fait plusieurs catalogues, dont ceux de jeux et jouets, d’informatique, de produits de beauté, d’objets de collection et de livres ; tout ce qui avait été retiré du marché par SC&R figurait dans ces pages. L’opulence de cadeaux finit même par avoir raison des plus sceptiques qui, une fois seuls, feuilletaient les catalogues à la recherche du cadeau de leur rêve.

Après un Noël 2009 marqué par l’épargne et la rigueur, le principe du Noël 2010 ne pouvait qu’être attirant : demandez ce que vous voulez, c’est le Père Noël qui régale ! Les listes s’allongeaient et certaines étaient tellement longues qu’il fallait des enveloppes à très grande contenance pour les envoyer. Malgré tout, chacun se rappelait que la générosité du vieil homme avait un prix : le courage, la générosité et la gentillesse, et dans les médias, le débat sur la réalité du Père Noël avait laissé place à des reportages comme « Que demandez-vous au Père Noël ? » ou « Que faites-vous pour mériter vos cadeaux cette année ? »

Le monde des hommes devint un peu plus calme. Il y avait bien sûr des récalcitrants, des non-croyants et des autres peuples où Noël n’était pas fêté, mais dans les pays qui célébraient cet événement, les gens commençaient à se dire qu’il fallait prendre ses précautions à l’approche de décembre. On aidait les personnes âgées, on réglait les conflits à l’amiable, on donnait aux plus pauvres et on accueillait les sans-abris au chaud. La police afficha avec plaisir les statistiques de la deuxième moitié de novembre : les chiffres des vols et des agressions à la personne avaient sensiblement diminué, et les arnaques ou dégradations de biens publics avaient atteint un niveau historiquement bas.

Depuis son bureau, pour la première fois depuis très longtemps, le Père Noël souffla et se détendit un peu. Il allait réussir à faire la plus belle fête de Noël de tous les temps !  

 

Case n°21

 

 

Le mois de décembre arriva assez vite, et, avec lui, le terme du délai imposé par le Père Noël. Alors que certains apportaient la dernière touche à leur liste, d’autres ne faisaient que la commencer. Les bureaux de poste, qui avaient reçu des dizaines de lettres par semaine, les voyaient maintenant affluer par centaines ; exceptionnellement, pour de nombreux pays, ils restèrent ouverts le six décembre jusqu’à minuit.

Le courrier adressé au Père Noël était stocké dans des sacs spéciaux, entreposés aux pieds des cheminées des postiers d’où ils disparaissaient mystérieusement. La police avait tenté de pister ces sacs, mais en vain. Tout comme pour les entrepôts des grands magasins, les hommes du Père Noël savaient déjouer les systèmes de sécurité les plus sophistiqués.

Le sept décembre au matin, les retardataires apportèrent leur liste en demandant s’il était toujours possible de les envoyer. N’ayant aucune autre consigne,  certaines postes acceptèrent, mais les sacs restèrent au pied des cheminées.

Les jours passèrent et l’on approchait de plus en plus du grand soir. Les gens étaient déboussolés par ce Noël hors norme : alors qu’ils étaient habitués aux courses de dernières minutes, les clients n’avaient rien à acheter et les commerçants se tournaient les pouces en attendant de recevoir la compensation de SC&R. Tout le monde reporta cette frustration sur les décorations des maisons et la préparation du repas du réveillon.

L’impatience grandissait…

… mais une nouvelle colère l'accompagnait et n’allait pas tarder à se faire sentir…

 

Case n°22

 

 

 

Elle était latente, et c’est finalement un article de magazine qui la fit éclater. La question posée était simple : avez-vous été suffisamment sages pour mériter vos cadeaux cette année ? Alors que la plupart des personnes interrogées confessait des petits mensonges, quelques coups fourrés, des rancunes et des disputes imbéciles, le journaliste se demandait ce que le Père Noël attendait comme comportement… Quels étaient ses critères ? Quelle marge d’erreur tolérait-il ? Avant, c’était plus simple, quand un enfant faisait quelque chose de mal, on lui disait : je ne suis pas sûr que le Père Noël va t’apporter des cadeaux si tu continues comme ça… Mais cette fois-ci, les adultes devaient eux aussi bien se tenir, et personne ne venait les prévenir lorsqu’ils dépassaient les limites.

Le fait que, depuis son allocution dans les médias, le Père Noël faisait le mort n’arrangeait rien. Il était perçu comme un monarque tyrannique qui régentait le monde depuis son pays lointain. Beaucoup avait très mal pris l’arrêt des levées de listes de Noël après le six décembre et d’autres avaient encore en travers de la gorge la façon dont SC&R avait imposé son monopole.

Un groupement se forma : les Grinch. Ils tiraient leur nom du personnage de cartoon qui déteste Noël. Les Grinch saccageaient les décorations de Noël, agressaient les faux Père Noël, multipliaient les vols et les dégradations en tous genres. En une semaine d’existence, les Grinch réussirent à enrôler des milliers de personnes : tous les déçus, les fâchés, les hésitants ou les impatients... Grâce à Internet et aux réseaux communautaires, la pensée des contestataires se répandit comme une traînée de poudre.

A trois jours de Noël, les Grinch étaient très nombreux et ils avaient pris une décision : ils allaient piéger le Père Noël. Dans leurs propres maisons et dans celles qu’ils infiltraient, ils disposèrent des pièges au pied des cheminées : des filets, des fusils avec des fléchettes tranquillisantes, des seaux d’eau, des Flash-Ball ou encore des Tasers. Certains voulaient seulement chahuter le vieil homme, alors que d’autres voulaient l’attraper et qu’une frange plus radicale du mouvement voulait le voir mourir.  

 

Case n°23

 

- Patron…

- Oui, je sais Miguel ! J’ai eu le rapport de Léo !

- Et qu’est-ce que vous allez faire ?

- Qu’est-ce que je vais faire ? Ben je vais y aller figure-toi !

- C’est que…

- Quoi ?! Tu sais très bien que leurs pièges seront inefficaces…

- Mais certains lutins se demandent si…

- Ils ont peur ? Depuis quand des lutins capables de se déplacer aussi vite que vous avez peur de tomber dans des pièges d’hommes. Il y avait les mêmes pièges dans certains entrepôts et vous vous êtes toujours acquittés de votre tâche.

- Non, c’est par rapport à l’esprit de Noël…

- Tu veux parler de la joie, le bonheur et l’amour ?  

- Et bien oui… Mais je veux surtout parler du fait qu’ils cultivent la pensée négative : on est loin du Noël avec des hommes courageux et généreux qui célèbrent l’hiver dans la joie.

- Mais ces Grinch, comme ils se font appeler, ne sont pas tous méchants. J’ai changé leurs habitudes,  j’ai pris Noël en otage, on ne pouvait pas s’attendre à ce qu’ils réagissent tous en souriant. Depuis si longtemps, ils pensent que je n’existe pas ; comprends-les… Le jour où Dieu se décidera à descendre pour les rencontrer, crois-moi qu’ils ne seront pas nombreux à croire que c’est vraiment lui.

- Donc on maintient la distribution ?

- Bien sûr que oui. D’autant plus qu’il y a aussi tous les autres, tous ceux qui ont cru en moi et qui y croient encore. Demain soir, nous allons distribuer des cadeaux, nous allons le donner du bonheur.

- Je l’espère Père Noël, je l’espère vraiment…

Après un long silence, le lutin sauta du tabouret et sortit du bureau du vieil homme. Derrière la porte, Kim poussa un long soupir. Jim, qui l’attendait dans le couloir, l’interrogea du regard. Au haussement d’épaules de son collègue, le lutin fronça les sourcils et marcha d’un pas décidé vers la salle de repos, où les autres lutins l’attendaient.

 

Case n°24

 

Vendredi 24 décembre 2010, 23h37.

Le Père Noël chargea le dernier sac sur son traîneau. Il est très en retard, car une partie de ses lutins s’était mise en arrêt de travail et avait refusé de charger les cadeaux d’hommes si ingrats.

Les huit rennes étaient arrivés à leur place et Joe, un des seuls lutins non gréviste, attachait les rênes aux animaux qui trépignaient. Rodolphe s’était approché du Père Noël et appuyait doucement son museau contre son bras.

- Je sais, Rodolphe, ça ne ressemble pas au Noël de nos rêves.

- Je pense qu’on s’est trompé sur la méthode. Mais maintenant, c’est un peu tard.

- …

- Allez Père Noël, il faut y aller… Nous avons beaucoup de travail…

- Oh, pas de tant que ça ! Les gens ont eu tellement de pensées négatives, ils ont ressenti tellement d’animosité… Dois-je leur en tenir rigueur ?

- C’est la grande question Père Noël ! Vous avez toujours dit à vos lutins qu’ils avaient le droit de se tromper. Les hommes ont-ils eux aussi ce droit ?

- Je ne sais pas…

- Vous souvenez-vous de la raison qui nous a poussé à créer SC&R ?

- Moui… Je voulais faire revenir la magie de Noël, je voulais donner aux hommes l’envie de se dépasser, aux enfants le désir de mériter leurs cadeaux…

- Et certains se sont pris au jeu !

- Mais pour combien qui m’ont détesté et haï !

                 Le Père Noël secoua la tête avec dépit. Les autres rennes attendaient en silence, Joe s’était immobilisé et Rodolphe soufflait doucement par ses naseaux.

- Bon, il faut bien y aller… Allez Joe, attache Rodolphe, on va distribuer ces cadeaux.

                Jamais de toute leur existence, Joe, Rodolphe et les huit autres rennes n’avait vu le Père Noël partir pour sa tournée avec si peu d’entrain.

Comme si la magie de Noël, doucement s’éteignait…

 

Case n°25

Bastien, huit ans, était assis sur le toit de sa maison. Vêtu d’un gros manteau, d’un bonnet et d’une écharpe, il regardait la nuit avec tristesse. Soudain, un traîneau tiré par neuf rennes traversa le ciel et vint se poser devant lui. La distribution allait commencer.

Le Père Noël observa cet enfant avec curiosité. Contrairement à ce qu’il avait vécu par le passé, le regard du jeune garçon ne changea pas lorsque ce dernier le vit ; il restait empli de chagrin. Descendant de son traîneau d’un pas las, le vieil homme vint s’asseoir au pied de la cheminée près de lui.

- Alors, vous êtes venus…

- Oui…

- Je n’aime pas beaucoup ce Noël, vous savez ?

- Je m’en doute Bastien ! Personne n’aime ce Noël ! Pour une fois que c’est le Père Noël qui s’occupe de tout, personne n’est content ! Alors vas-y, dis-moi donc tout ce que j’ai fait de travers ! Et puis l’année prochaine, vous vous démerderez tous seuls ! 

Le petit garçon fronça doucement les sourcils, puis laissa éclater ses pleurs dans un long gémissement. Il cacha son visage dans ses bras croisés et pleura à chaudes larmes.

Le vieil homme se sentit soudain très mal. Il posa une main maladroite sur l’épaule du garçon en balbutiant des paroles de réconfort :

- Euh… excuse-moi Bastien… J… Je me suis emporté. Ce… ce n’est pas de ta faute, c’est juste que… C’est juste que… Les pleurs du garçon s’amplifièrent. Celui-ci poussa la main du Père Noël et releva la tête, le regard noir, en lui criant :

- Non, c’est tout votre faute ! Papa a perdu son travail à l’usine et il était très triste. Il était presque plus à la maison et la dernière fois qu’il est passé, il a cassé le sapin, les guirlandes et le petit pantin de Noël que j’avais fabriqué à l’école. Vous avez fâché mon papa et puis ma maman, elle a dit que si ça continue comme ça, ben on partira très loin de papa pour qu’il ne casse plus rien. Elle a dit aussi que tout ça, c’est parce que vous avez voulu avoir Noël rien que pour vous ! Alors, cette année, je ne veux pas de vos cadeaux. Vous avez gâché Noël, vous avez fâché mon papa et ma mamaaaaaaaannnnnn. Le jeune garçon renfonça son visage dans ses bras et continua à pleurer.

Le vieil homme se sentit bête. Il tenta d’avancer sa main, mais le garçon eut un geste de recul. Il savait qu’il ne pourrait pas le calmer avec des paroles, pas plus qu’avec le circuit Mario Kart, la pyramide Playmobil et la maquette d’avion en bois qu’il lui avait apportés.  

Il se leva péniblement et soupira un « Désolé Bastien ». Désemparé, il se rapprocha de Rodolphe et lui caressa la tête.

- On a bien raté.

- Je le sais Rodolphe. Le Père Noël a gâché Noël ! C’est un comble.

La neige commença à tomber doucement. Le Père Noël regarda avec inquiétude et tristesse le jeune Bastien. Il n’y avait qu’un seul moyen d’arranger les choses. Le seul cadeau que les lutins ne pouvaient pas fabriquer.

- Il va falloir utiliser la dernière solution Rodolphe…

- Tu en es sûr ? 

- On va arrêter de faire n’importe quoi : je me suis mis à dos les hommes, la majeure partie de mes lutins et, pire que tout, les enfants. Il y en a trop qui m’attendent le cœur plein de tristesse et de déception. Il fit une pause avant de reprendre : Je ne veux pas gâcher Noël. Les enfants croyaient en moi, et je crois que  c’est le plus important. Même si leurs parents ont perverti cette fête du courage et de la générosité, c’était une fête. Et ça doit revenir une fête.

Le vieil homme appuya sur le nez rouge de son neuvième renne, tout en déclarant : « je souhaite revenir au mois de janvier 2010 et ne pas créer SC&R ».

La lumière rouge du nez du renne s’amplifia, et se répandit dans la nuit.

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Noël 2009 s’achevait comme les éditions précédentes : les enfants des pays riches avaient reçu trois fois leur poids en jouets, peluches et autres jeux électroniques, les adultes commençaient la valse des échanges et des reventes et les autres ramassaient les restes.

Dans les grandes surfaces, on démontait les présentoirs et on changeait les têtes de gondoles. Janvier arrivait à grand pas, et avec lui, de nouveaux thèmes allaient attirer les chalands : les soldes, les galettes des rois, le blanc et la puériculture.

Une nouvelle année de promotions et de bénéfices s’annonçait et aucun prémisse de  quoi que ce soit n’apparut pour troubler le cycle.

En décembre 2010, le petit Bastien reçut son circuit Mario Kart, sa pyramide Playmobil, deux jeux de DS, un bilboquet et des cartes de catch. Le petit paquet près de la cheminée dans lequel il trouva une maquette d’avion en bois n’avait été acheté par personne de la famille, mais pour le jeune garçon, ce n’était pas grave, il adorait ce cadeau. Et même si on venait de lui dire que le Père Noël n’existait pas, il se tourna vers le ciel pour le remercier infiniment.

De son bureau, le Père Noël sourit en se caressant doucement la barbe, heureux d’avoir retrouvé un peu de la magie de Noël.

 FIN

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