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Curieux ?

 

Par Thomas Burnet.

« La curiosité est un instinct qui mène à tout : parfois à écouter aux portes, parfois à découvrir l’Amérique ». José Maria Eça de Queirós.

            Lucie s’approcha doucement du ruisseau. Cette longue marche dominicale l’avait fatiguée et elle était contente de trouver un point d’eau. Elle se souvint des longues randonnées de sa jeunesse et du don qu’avait son père pour savoir si un ruisseau était potable ou non. Elle ne savait pas comment il faisait et décida d’improviser : elle approcha son visage de l’eau claire. Etant à plus de deux mille cinq cents mètres, elle se dit qu’à cette altitude, ce serait vraiment étrange que cette eau soit polluée. De plus, elle ne voyait pas de végétation étrange sur les pierres de la rivière, donc déduit qu’il y avait peu de bactéries. Elle joignit ses mains et recueillit un peu d’eau glaciale qu’elle porta très rapidement à sa bouche. Elle adorait boire de l’eau ainsi. Elle avait l’impression que cette eau était encore meilleure qu’une eau achetée dans le commerce ou recueillie au robinet de sa cuisine. Elle reprit plusieurs gorgées qu’elle laissa doucement glisser le long de sa gorge. Elle passa ensuite la main sur sa nuque et sur son front pour se rafraîchir. Elle se releva avec satisfaction et se dit qu’il était temps de redescendre vers la station avant que la nuit ne tombe. Elle chercha le bâton qu’elle avait laissé par terre, le récupéra et se mit en route.

            Soudain, elle s’immobilisa, puis revint au ruisseau. Au milieu des rochers, au-dessus de l’endroit où elle s’était arrêtée, elle remarqua une pierre qui semblait être couleur marron. Elle l’avait distinguée du coin de l’œil et il avait fallu un peu de temps avant que son cerveau ne lui indique que cette information était étrange et qu’elle méritait vérification. Elle quitta le chemin de randonnée et avança dans l’herbe jusqu’aux rochers. Là, elle attrapa la pierre marron qui était en fait une boite. Il lui fallut la tourner dans plusieurs sens pour qu’elle se dégage de son enclave de pierre. La boite était plus précisément un coffret de bois. Il devait faire 50 centimètres de long sur 25 de large. Le coffret était haut d’une trentaine de centimètres. A chaque coin il y avait  une pièce métallique noire, très abîmée par le temps. Le crochet, lui aussi en métal, était, comme le reste des pièces, très abimé, mais il maintenait le coffret bien fermé. L’ensemble n’était pas vraiment léger, sans être très lourd. Elle le remua prudemment et entendit quelque chose bouger à l’intérieur. Son pouls s’accéléra et elle ressentit une certaine excitation à l’idée de ce qu’elle pourrait trouver dans ce mystérieux coffret.

            Elle hésita : fallait-il qu’elle l’ouvre ? Fallait-il qu’elle le laisse là pour que la personne qui l’avait égaré puisse le retrouver ? Fallait-il qu’elle le rapporte à l’office de tourisme de la station ? Elle pensa aussi que ça pouvait être un coffret enterré par des jeunes hommes de la région à l’occasion de l’enterrement de vie de garçon d’un des leurs, et qui espéraient pouvoir le retrouver à l’occasion de la naissance du premier enfant.

Elle retourna le coffret et découvrit une inscription, inscrite dans le bois, surmontée d’une petite gravure décorative : « Serez-vous suffisamment curieux ? ». On ne saurait être plus mystérieux. Etait-ce un test ? Y avait-il une armée de caméras cachées dans les environs, qui observaient le comportement des promeneurs. Ce coffret avait peut-être déjà été ouvert cinquante-trois fois dans la journée. Et elle serait la cinquante-quatrième curieuse prise au piège de la curiosité. Elle n’arrivait pas à se décider, mais s’imagina le soir même, dans son lit, à se demander ce que pouvait bien contenir cette boite ! Elle se dit qu’elle n’avait rien à perdre à regarder dedans. Au pire, elle serait piégée et appellerait tous ses amis pour qu’ils la regardent passer pour une cruche à la télé. Ils se moqueraient d’elle un temps avant que cela ne reste qu’un souvenir rigolo qu’on lui sortirait le jour de son mariage. Sa vie méritait bien une péripétie amusante. Elle allait succomber à la tentation de l’ouverture mais arrêta son geste. Et si c’était un piège ? Un vrai piège. Le genre de piège qui vous coûte une main. Elle réfléchit un instant et finit par se dire que l’état d’esprit de tout individu était vraiment fonction de l’époque dans laquelle il vit : l’Indiana Jones de 2009 devait avoir troqué son fouet pour des gants en latex et son pistolet pour un kit du parfait petit chimiste. Elle se raisonna : non, tout n’est pas un perpétuel guet-apens qui n’attend qu’un geste de notre part pour se refermer et nous prendre au piège. Elle se ressaisit et posa la main sur le crochet de fer.

            Un bruit survint tout à coup un peu plus haut sur le chemin. Une famille au grand complet arrivait dans sa direction. Elle pensa à l’éventuel trésor que pouvait contenir cette boite et se dit qu’elle n’avait pas vraiment envie d’attirer l’attention sur sa découverte. Jusqu’à ce qu’elle sache vraiment ce que contenait ce coffret, elle prit la résolution de ne mettre personne au courant ; même pas ses amis. Elle ouvrit son sac à dos et glissa son coffret à l’intérieur, tout en regardant autour d’elle pour voir si un éventuel présentateur ou complice venait arrêter son geste. Elle pensa alors qu’elle avait bien fait de ne pas vouloir s’acheter de sac et d’avoir emprunté celui de son frère, un sac à dos de randonnée trois fois trop grand pour l’usage qu’elle avait prévu, mais parfait pour recevoir ce coffret.

            La famille passa près d’elle alors qu’elle finissait de refermer la fermeture éclair de son sac. Elle le hissa sur ses épaules et repartit en adressant un sourire aux enfants qui courraient en direction du ruisseau. Elle vérifia sa montre et eut la confirmation qu’il était vraiment temps de redescendre vers la station.  Il lui fallut une bonne heure pour rejoindre l’appartement, un peu avant dix-neuf heures. Ses amis étaient en train de préparer le dîner. Ils l’accueillirent avec l’apéritif et Lucie eut du mal à s’isoler au cours de la soirée pour s’occuper du contenu du coffret. Elle remit son ouverture au lendemain, ses quatre amis faisant une sortie à laquelle elle avait feint de ne pas  vouloir prendre part. Dans la soirée, elle eut tout juste la possibilité de transférer le coffret dans sa valise, afin de prêter le sac à dos à une amie pour le déjeuner du lendemain. Elle s’endormit en imaginant les trésors  qu’elle pourrait trouver dans ce mystérieux coffret.

            La pluie compromit son programme. La sortie fut annulée pour cause de fortes averses et les cinq amis passèrent la journée entre leurs lectures respectives et différents jeux de société. L’appartement était un deux pièces assez petit, comme souvent dans les locations de montagne. La chambre ayant été réservée pour Mary et Clarisse, Lucie dormait sur un matelas dans la salle à manger, en compagnie de Marc et d’Alexandra. Hormis la petite salle d’eau, elle n’avait donc aucun endroit où s’isoler. Au moment d’aller prendre sa douche, elle enveloppa discrètement le coffret dans son peignoir, prit des affaires propres, et passa dans la salle d’eau.

 Seule, enfin. Elle passa aux toilettes, étendit son peignoir sur le porte-serviette, posa le coffret sur le sol de la salle d’eau et l’observa. Elle se déshabilla et prit une rapide douche. Lorsqu’elle eut terminé, elle enfila son peignoir, se sécha un peu et s’assit en tailleur à même le sol. Elle caressa le couvercle. Elle aimait bien la sensation du bois sur sa main. Elle toucha les parties métalliques en ressentant chaque irrégularité. Elle retourna le coffret et passa les doigts sur l’inscription sculptée. Elle le remit à l’endroit et posa la main sur le petit crochet. Elle était sur le point d’entrer dans l’intimité de quelqu’un ; elle s’apprêtait peut-être à découvrir des secrets enterrés par un enfant ou par un adolescent tourmenté. Elle le fit jouer doucement, dans un sens, puis dans l’autre, comme pour jouer avec ses propres nerfs et retarder le moment où il n’y aurait plus rien à découvrir.

Elle finit par faire basculer le crochet complètement, et souleva doucement le couvercle. Elle fut stupéfaite lorsque, à l’intérieur du coffret, elle en découvrit un second, qui semblait avoir été conçu pour s’emboiter dans le premier. Alors qu’elle allait s’en saisir, quelqu’un tambourina à la porte.

- Lucie ! Est-ce qu’on pourrait entrer ?

- Euh… pourquoi ?

- C’est Alex ! Nausées !

Merde, jura-t-elle tout bas.  Elle lança un « J’arrive », referma le premier coffret qu’elle cacha sous ses affaires, et ouvrit la porte de la salle d’eau ; elle découvrit son amie le teint verdâtre, le pull recouvert de jus d’orange régurgité. 

- Désolée pour le spectacle !

- Oh, c’est rien. J’ai gardé mon neveu la semaine dernière, et tu ne lui arrives pas à la cheville !

 La future maman sourit.

- Tu as fini ? J’aimerais bien me débarrasser au plus vite de ça.

- Et bien… euh… Vas-y.

- Tu es sûre.

- Certaine, ma grande ! Julien ne me pardonnerait pas si je laissais sa femme pleine de vomi pendant que je me prélasse dans une douche chaude. Juste, deux minutes, le temps que je me rhabille.

- D’accord. Merci.

Elle referma la porte, enfila rapidement les affaires qu’elle avait préparées, jeta un regard noir au coffret qu’elle recouvrit de son peignoir et ressortit de la salle d’eau. Elle glissa le coffret dans sa première cachette et étendit son peignoir sur le Tancarville installé dans l’entrée. Alexandra entra dans la salle d’eau tandis que Lucie prit un livre qu’elle fit semblant de lire sur le canapé.

            Elle se sentait frustrée. Elle avait ouvert le premier coffret pour en découvrir un second. Comme si quelqu’un avait répondu à sa question par une autre question. Elle se demanda ce que pouvait contenir ce second coffret et sa curiosité s’aiguisa un peu plus.  Elle se disait que si cet objet, ou ces objets, étaient doublement enfermés, c’est qu’ils devaient avoir une valeur certaine. En tout cas, il ne lui était peut-être plus très utile de garder le premier coffret, et elle prévit d’aller le redéposer dans le creux de rocher où elle l’avait trouvé la veille. Un coffret plus petit serait plus pratique à transporter en toute discrétion. Elle devrait cependant attendre le jeudi, car les cinq amis avaient prévu pour le lendemain une randonnée avec une nuit dans un refuge de montagne.

            Lorsqu’elle dut faire son sac pour cette sortie, se posa la question d’apporter ou non le coffret. Elle n’avait pas eu d’autres occasions de l’observer, et elle ne savait même pas s’il était possible de l’ouvrir. Tout ce qu’elle savait, c’est que dès qu’elle aurait l’occasion, elle tarderait moins à ouvrir ce second coffret… Si elle avait su qu’elle n’en saurait pas plus en ouvrant le premier, elle n’aurait pas pris de douche et aurait entièrement consacré son temps à la découverte des trésors cachés. Elle estima pourtant qu’elle aurait encore plus de mal à s’isoler lors de la nuit au refuge, et laissa les deux coffrets au fond de sa valise. Le changement de décor et l’éloignement de l’objet de la tentation lui firent oublier pendant un moment l’existence de ces coffrets. Elle rigola beaucoup pendant cette randonnée et opéra même un petit rapprochement à l’égard de Marc. Il y eut échange de regards, quelques insinuations et un clin d’œil un peu pataud qui lui laissaient penser qu’Alexandra ne dormirait peut-être plus sur le matelas du milieu.

            C’est le mercredi soir, en fouillant dans son sac pour trouver de quoi se changer, qu’elle se souvint de l’histoire du coffret. Sa curiosité refit surface, un peu moins pressante que le lundi soir, mais toujours en attente d’être satisfaite. Elle refit la même manipulation que la première fois et se retrouva seule avec son coffret, dans la salle d’eau commune. Elle savait qu’elle devait moins traîner et s’assit en tailleur sur le sol, le grand coffret devant elle. Elle défit le crochet de fer et l’ouvrit. Le second coffret était là, toujours clos, toujours parfaitement emboîté dans son jumeau grand format. Elle le sortit délicatement. Il y avait une magnifique étoile gravée en profondeur sur le dessus de ce coffret. Elle ne put s’empêcher de passer la main sur les creux et les reliefs dessinés sur ce coffret et imagina avec émotion le temps qu’avait demandé la réalisation de ce dessin. Elle remarqua avec étonnement que ce coffret-ci était clos par un cadenas numérique à trois chiffres. Elle se dit qu’il serait plus long à ouvrir que son grand frère. Elle repensa aussi à la possibilité que ce coffret soit fermé par un cadenas pour la simple et bonne raison qu’il appartenait à quelqu’un qui voulait en garder le contenu secret. Mais ceci était en contradiction avec l’inscription du premier coffret. Elle le souleva, mais n’aperçut aucune question interrogeant son degré de curiosité. Elle relut justement celle posée par le premier coffret. Serait-elle suffisamment curieuse pour violer le secret d’un cadenas ? Au pire, avec ce genre de cadenas, elle avait juste à remettre en ordre le contenu du coffret et le refermer en changeant le code. Elle se décida à l’ouvrir.

            Elle regarda les chiffres et réfléchit. Il devait y avoir un raisonnement logique qui pouvait lui permettre de contourner l’heure de recherche laborieuse. Elle essaya d’abord de l’ouvrir sans toucher à aucun chiffre. Elle tira, puis nota dans sa tête que 747 n’était pas le bon code. Elle fit ensuite comme si le cadenas ne s’était décalé que d’un chiffre. Elle essaya donc successivement les codes 746, 748, 737, 757, 647, 847 avant de s’arrêter. Cela ne servait à rien : le coffret n’était toujours pas ouvert et elle ne pourrait jamais se souvenir de tous les codes essayés. Elle reposa le coffret avant de soupirer de découragement.

            Ca faisait un moment qu’elle était dans la salle d’eau et les autres allaient finir par se demander ce qu’elle faisait. Elle voulait malgré tout prendre une douche après les deux jours de longue marche. Cette histoire de coffret commençait à l’agacer : à quoi bon donner envie à quelqu’un d’ouvrir un coffret si c’était pour tourner autant autour du pot ? Elle reposa donc le petit coffret dans le plus grand, remit en place le crochet de fer et prit une douche. Après s’être habillée, elle ressortit, cacha les coffrets dans sa valise et laissa la salle d’eau à Marc qui fit glisser sa main le long de sa hanche lorsqu’ils se croisèrent. Ce simple geste suffit à lui redonner le sourire. Elle se promit de se mettre elle aussi au jeu des mains baladeuses dans la soirée.

            Avant le dîner, elle prit le temps de noter les codes qu’elle avait essayés sur un bloc-notes qu’elle avait trouvé dans une poche du sac de son frère. Elle regarda avec dépit cette liste de sept nombres en se disant qu’il lui restait encore 993 possibilités. Et encore, elle s’estimait chanceuse qu’il n’y ait que trois chiffres sur le cadenas. Elle passa la soirée à expérimenter d’autres possibilités bien plus agréables, celles de tourner autour du pot avec un possible amant. Elle en essaya tant qu’au moment de dormir, Alexandra demanda d’elle-même que son matelas soit disposé à gauche, le long du mur. Cela faisait plusieurs mois que Lucie n’avait passé la nuit dans les bras de quelqu’un, et le fait d’avoir l’occasion de retrouver un corps contre lequel se pelotonner lui fit du bien. Le lendemain, lorsqu’elle ouvrit les yeux, Marc était déjà réveillé. Allongé sur le côté, il la contemplait, le sourire aux lèvres. Mary sortit de l’unique chambre de l’appartement et se planta devant leurs matelas avec un grand sourire. C’est elle qui avait eu l’idée d’inviter Marc, un bon ami célibataire, à cette semaine montagnarde et elle était donc à l’origine de la rencontre des deux tourtereaux. Peu après, sa compagne arriva elle aussi dans la salle de séjour et leur sourit de la même façon. Ce rapprochement semblait mettre tout le monde de joyeuse humeur, sauf bien sûr Alexandra qui était déjà devant les toilettes, en train de subir « les joies de la grossesse ».

            Ce jour-là, Marc, Clarisse et Mary avaient prévu une sortie en parapente à laquelle Lucie ne pouvait pas participer en raison de son vertige. Alexandra, assez fatiguée par son explosion hormonale, n’avait pas envie de faire grand-chose. Elle se décida finalement pour une visite dans le centre de soin de la station. Lucie avait envie de profiter de la montagne, mais surtout, il lui fallait retourner près du ruisseau pour redéposer le grand coffret. Elle avait décidé de garder le petit pour essayer de l’ouvrir ; ce casse-tête lui rappelait les journaux de jeux qu’elle faisait, plus petite, avec sa grand-mère. Mais elle était aussi curieuse de savoir ce qui nécessitait tant de précaution. Elle s’arrangerait pour essayer de l’ouvrir avant le samedi matin, jour du grand départ, afin de pouvoir le remettre à sa place dans le creux du rocher si besoin.

            Elle laissa donc Alexandra à ses gommages et autres massages et partit dans la montagne, les coffrets cachés dans le grand sac à dos de randonnée. Elle marcha une bonne heure avant de rejoindre le ruisseau où elle avait fait sa singulière découverte. Après avoir vérifié qu’elle était seule, elle sortit le petit coffret et remit en place le grand, en le faisant pivoter plusieurs fois pour le bloquer correctement. On avait l’impression qu’il n’avait jamais bougé de là. Satisfaite, Lucie remonta un peu le ruisseau en escaladant le mur de pierre et trouva un endroit isolé des regards des promeneurs. Elle s’installa dans cette cachette et entreprit d’essayer tous les codes entre 000 et 100. Alors qu’elle arrivait à peu près à la moitié, elle sursauta. Elle venait d’entendre un bruit venant des rochers derrière elle. Elle passa discrètement la tête, et vit un petit animal passer à vive allure. Elle était incapable de le nommer, mais le regarda s’éloigner en souriant. Elle jeta un œil vers le chemin : personne à l’horizon ; elle pouvait donc continuer sa recherche. Arrivée à cent, elle sortit le bloc notes de son sac et indiqua les codes essayés. Cette première centaine passa plus rapidement qu’elle ne l’aurait pensé, alors elle tenta cent combinaisons de plus. Mais cette seconde recherche se solda elle aussi par un échec. Elle réfléchit en essayant d’estimer le temps nécessaire pour essayer une combinaison. Elle l’évalua à deux, voire trois secondes. A ce rythme, essayer cent combinaisons revenait à trois cents secondes, soit cinq minutes. Essayer deux cents combinaisons lui prendrait donc une dizaine de minutes. Elle se dit que c’était très bien pour être sûre de ne pas se tromper ou de ne pas manquer une combinaison. Elle rangea donc le coffret dans son sac et reprit la route avec le sourire. Elle avait déjà essayé deux cent une combinaisons, elle se dit qu’elle pourrait, à coup sûr, avoir ouvert le coffret avant la fin de la journée.

            Elle repartit dans la montagne, sans oublier de boire au passage quelques gorgées d’eau fraîche dans le ruisseau. Elle aimait vraiment beaucoup être ici, au milieu des montagnes. Ca la changeait vraiment à son environnement lillois. Elle repensa aussi à l’heureux événement de la veille en se demandant ce que donnerait cette idylle dans un contexte plus ordinaire. Pour le coup, elle était suffisamment curieuse pour tenter l’aventure ! Elle ponctua sa randonnée de pauses de dix minutes pendant lesquelles elle continuait de faire défiler les nombres sur le cadenas. Au plaisir d’avancer rapidement dans l’éventail des codes possibles s’ajoutait la frustration de ne pouvoir ouvrir ce petit coffret. Une simple enveloppe de bois, close par un simple ensemble de métal ! Elle tenta, en essayant de ne pas abîmer le coffret, de casser le cadenas, mais celui-ci, malgré sa petitesse, résista. Après être arrivée à 800, elle prit même une pierre pour taper dessus, mais, à part quelques rayures, le cadenas s’en sortit indemne.

            C’est près du ruisseau, dans sa première cachette, qu’elle fit défiler les cent quatre-vingt-dix-neuf derniers codes. Lorsqu’elle aligna les trois neuf, elle prit une grande inspiration, et tira de toutes ses forces sur le cadenas qui resta, encore une fois, désespérément clos. Elle le regarda avec dépit. Elle avait tout essayé et rien n’avait fonctionné. Mille codes, et pas un seul de bon. La personne qui avait posé ce cadenas aimait vraiment bien jouer avec les nerfs des autres. Pour l’avoir beaucoup manipulé, elle avait bien vu qu’il ne semblait pas y avoir ni dispositif caché ni serrure complémentaire au cadenas. Elle envisagea bien pendant un moment de fracasser le coffret contre un rocher, mais la vue de la belle étoile sculptée sur le couvercle l’empêcha de mettre en application cette solution. Au final, elle avait le sentiment que ce coffret n’était pas fait pour être ouvert et se dit qu’il vaudrait mieux le remettre dans le grand coffret pour que son propriétaire puisse le retrouver. Elle le rangea dans son sac avec déception, et retourna au ruisseau. Deux hommes étaient en train de s’y rafraîchir. Elle les salua et s’assit sur un rocher à proximité. Une fois les deux randonneurs partis, elle ressortit le grand coffret de son creux de pierre et replaça le petit coffret inviolable.

            Elle revint, morose, jusqu’à l’appartement. Elle se força à continuer de profiter du paysage et du calme de la montagne jusqu’à la fin de sa marche, mais son cœur n’y était plus vraiment. Elle n’était pas vraiment triste, parce qu’on ne peut pas vraiment l’être de ne pas avoir réussi à entrer dans l’intimité d’un autre, mais elle était profondément déçue. Déçue parce que cette histoire de coffret trouvé au milieu de nulle part lui rappelait son enfance et les aventures de pirates et de chasse au trésor qu’elle inventait avec ses cousins. Et cette fois-ci, elle avait trouvé un trésor, un vrai ; toute seule, comme un vrai pirate. Mais le capitaine Lucie ne finirait pas riche comme un pape, car elle n’avait pas été capable d’ouvrir le coffret.

            Marc, Mary et Clarisse revinrent ravis de leurs vols en parapente. Ils décrivirent aux deux jeunes femmes les montagnes vues du ciel et le silence qui régnait dans les airs. Alexandra fit l’inventaire des soins qu’elle avait reçus au centre, décrivant les différentes matières utilisées et les bienfaits qu’elles devaient apporter à sa peau. Les amis finirent la journée autour d’une raclette dans un des restaurants de la station. Ils décidèrent de passer leur dernière journée ensemble et motivèrent Alexandra pour une petite ballade dans la montagne. Marc et Mary se chargèrent de l’itinéraire, tandis que  les autres s’occupèrent de confectionner le pique-nique. En observant l’itinéraire choisi, Lucie constata qu’ils allaient passer à proximité du ruisseau. Elle se demanda si elle devait parler des coffrets aux autres mais ne réussit pas à choisir et décida de voir sur l’instant. 

Ils partirent vers dix heures, sous un beau soleil d’été. Il leur fallut presque une heure trente pour arriver au ruisseau. Marc proposa une pause au bord du ruisseau. Lucie rigola lorsque celui-ci se lança dans une analyse complète de l’aspect de l’eau et de sa flore, avant de conclure que cette eau était propre à la consommation, sauf peut-être pour Alexandra. Tout le monde se rafraichit et ceux qui le pouvaient se désaltérèrent de cette eau fraîche. Lucie surveillait du coin de l’œil  les coffrets et s’étonna tout de même que Clarisse, qui était assise en face du creux de rochers ne les voit pas. Le petit groupe continua sa marche dans la montagne. Ils s’arrêtèrent vers treize heures pour déjeuner, dans un coin d’herbe, à l’écart du sentier. Ils restèrent là un long moment après avoir mangé : Mary et Clarisse discutaient des potins du magazine people qu’elles avaient apporté, Alexandra était plongée dans le second tome de la saga Millenium, et Marc et Lucie discutaient de tout et de rien, enlacés dans l’herbe. Vers quinze heures, ils rangèrent leurs affaires et repartirent vers la station. En repassant devant le ruisseau, Lucie repensa à la question inscrite dans le bois : « serez-vous suffisamment curieux ? » ; cet appel à l’indiscrétion naturelle de chacun, à l’intérêt de voir ce que l’on n’est pas censé voir. Elle avait l’impression d’avoir échoué à quelques pas de la réussite. Alors que le groupe continuait sa descente, elle se remémora les différents moments où elle avait essayé d’ouvrir le cadenas mais n’avait pas l’impression d’être passée à côté d’un code. En même temps, la question était claire : serez-vous suffisamment curieux pour faire ce qu’il faut pour savoir ce que contient ce coffre ? Lucie se répétait la question dans sa tête et se dit finalement qu’être curieux, c’était une façon de vivre sa vie sans peur du regret : on se pose une question, et on va chercher la réponse. Elle avait été suffisamment curieuse pour emporter avec elle le grand coffret, l’ouvrir en cachette, faire défiler les mille codes possibles pour le second coffret, mais pas assez pour en forcer l’ouverture ! Elle avait l’impression qu’elle aurait toujours cette impression au fond d’elle-même, ce sentiment qu’elle n’avait pas eu assez de cran pour aller jusqu’au bout. Elle trouvait un coffre mystérieux, une invitation pour l’ouvrir, mais n’allait pas jusqu’au bout. Elle repensa à ses maigres tentatives de casser le cadenas et à la boite à outils que lui avait donnée son père et surtout à la tenaille et à la scie à métaux qui viendrait bien à bout de ce petit bout métal. Et si un autre marcheur, qui avait moins de scrupules qu’elle, fracassait ce coffret contre un rocher pour découvrir son contenu. Elle prit sa décision et arrêta le groupe :

- Merde !

- Qu’y a-t-il ? demanda Marc, inquiet.

- J’ai perdu les clés de chez moi.

- Les clés de chez toi ? interrogea Mary, incrédule.

- Oui, elles étaient dans une des poches du sac de mon frère et je viens de vérifier, elles n’y sont plus. J’ai du les perdre lorsque j’ai pris un chewing-gum après le déjeuner. Je vais les chercher.

- Attends, je vais venir avec toi, proposa Marc.

- Non, c’est bon. De toute façon, je vois bien l’endroit où j’ai ouvert cette poche, ça ne devrait pas me prendre longtemps. Seule j’irai plus vite. Et puis, pour nettoyer l’appartement, vous serez plus efficace à quatre, d’autant plus qu’Alexandra voudra peut-être se reposer.

- Je ne serai pas contre en effet, même si je pourrais donner un petit coup de main.

- Bon, d’accord. Mais appelle-nous pour nous dire si tu trouves ou pas.

- D’accord. Mais toi, embrasse-moi. Elle attrapa Marc par le blouson et le tira à elle pour l’embrasser.

Lucie remonta vers le ruisseau alors que ses quatre amis redescendirent jusqu’à l’appartement. Un quart d’heure plus tard, la jeune femme arriva au ruisseau, où elle vit, avec une légère angoisse, des enfants qui jouaient dans les rochers. Ils passaient tellement près des coffrets que c’était un miracle qu’ils ne les aient pas encore découverts. Elle s’assit un peu plus loin et attendit avec impatience que cette famille reparte vers la station. Une demi-heure plus tard, elle put enfin s’approcher des rochers. Elle dégagea facilement le coffret, l’ouvrit rapidement, reprit le petit qu’elle cacha dans son sac. Elle referma le grand coffret et le replaça au creux des rochers. Son cœur battait très fort et ses mains tremblaient alors qu’elle sortait ses mains de la cachette. Elle commença à faire demi-tour, mais s’arrêta. Elle se dirigea vers le ruisseau, regarda par terre, puis ramassa une grosse pierre. Elle la ramena jusqu’au trou du grand coffret et la plaça devant. Elle reproduisit la manipulation avec deux autres pierres suffisamment grosses pour cacher le coffret sans pour autant dénoter dans l’ensemble de rochers.

            Satisfaite de sa réalisation, elle repartit vers la station, en sortant son téléphone portable pour prévenir ses amis qu’elle avait retrouvé ses clés. Lorsqu’elle arriva dans l’appartement, le ménage était déjà bien avancé, et se mit donc, elle aussi, à remettre en ordre ses affaires. Elle enveloppa le petit coffret dans sa polaire, et mit le tout dans le sac à dos qu’elle aurait avec elle pendant le trajet du retour. La journée se termina autour de deux pizzas, et de plusieurs parties de Uno. Le réveil sonna à sept heures le lendemain matin. La mise en route fut si rapide et efficace que, vers huit heures et demie, toutes les affaires étaient rangées dans l’entrée, prêtes à partir. Marc, Lucie et Clarisse se chargèrent de remplir la voiture, pendant que Mary et Alexandra donnaient les derniers coups d’aspirateur et de serpillière. Les clés furent rendues à l’issue de l’état des lieux sortant et les cinq lillois prirent la route du nord à bord du Multipla de Mary et Clarisse. Alexandra et Marc dormaient facilement en voiture, ils prirent donc place à l’arrière, chacun contre une portière. Lucie était au milieu car, même avec un oreiller, une couverture et de la musique douce, elle était incapable de dormir en voiture. Elle chantonnait en regardant le paysage, pendant que ses voisins sombraient dans le sommeil. Après une heure et demie de route, elle récupéra son sac à dos à ses pieds et le mit sur ses genoux. Elle l’entrouvrit et dégagea le coffret de son pull, de sorte à pouvoir le regarder sans le sortir. Elle se sentit tout à coup comme Gollum, l’étrange personnage du Seigneur des Anneaux. Elle avait développé avec ce coffret un attrait spécial et elle avait maintenant besoin de l’ouvrir, besoin de savoir qu’elle était curieuse de la vie et qu’elle pouvait encore jouer à la chasse au trésor. Elle fit rouler doucement les chiffres du cadenas qui indiquait encore neuf cent quatre-vingt-dix-neuf. Elle le remit à zéro. Personne dans la voiture ne fit de remarque et elle-même n’avait rien entendu. La route allait être longue, elle allait avoir le temps de refaire un tour, discrètement. Elle fit donc basculer le chiffre des unités sur le un, et tira fortement sur le cadenas. Rien. Elle passa au deux et ainsi de suite, presque machinalement. Soudain, alors qu’elle essayait la quarante-neuvième combinaison, le cadenas se débloqua. Elle le regarda, incrédule. Pour être sûre qu’elle ne rêvait pas, elle le dégagea de la serrure du coffret et le sortit de son sac. Non, elle ne rêvait pas. Le cadenas s’était défait. Comment cela se faisait-il qu’elle était passée à côté du quarante-neuf lors de sa première tentative ? Elle essayait de comprendre ce qui s’était passé lorsqu’elle vit qu’une aire d’autoroute était annoncée un kilomètre plus loin.

- Mary, tu veux bien t’arrêter à cette aire s’il te plait ?

- Ah ! Pose pipi ?

- …

            Mary changea de voie, décèlera et gara le véhicule à proximité des toilettes. Le ralentissement de la voiture avait réveillé Alexandra et Marc qui bâillaient et s’étiraient.

            Sans très bien comprendre pourquoi, Lucie déclara : Les amis, j’ai quelque chose à vous dire… 

 

A suivre…

… Mais serez-vous suffisamment curieux pour revenir le mois prochain ? J

 

 

 

 

 

 

 

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